- Histoire de la Laïcité -

 

 

La Laïcité, pilier de la République,

pilier du « vivre ensemble »

( Partie 1 sur 5 )

 

 

*

* *

 

Contrairement à une idée trop souvent répandue –et qui arrange bon nombre d’orthodoxes, pour ne pas dire fondamentalistes ou intégristes de toutes religions, et j’insiste, de TOUTES religions, la Laïcité ne saurait se réduire à la seule tolérance en matière de pratique ou de croyance religieuse. Mais la loi du 9 décembre 1905, dite « loi de séparation des églises et de l’État » - non seulement ne donne aucune définition, aucun contenu explicite de la Laïcité, mais encore, ne mentionne même pas le mot !

 

Pourtant depuis quelques temps, et plus particulièrement en période électorale, ce terme est souvent évoqué et beaucoup pensent en connaître le sens : mais ce manque de définition, ces contours « flous » n’ouvrent-ils pas la porte à toutes les affirmations, à toutes les récupérations possibles ? Pour ce qui me concerne, c’est volontairement que je n’en donnerai, pour le moment, aucune définition, car nous le verrons, le concept évoluera dans de très larges proportions.

 

Alors, n’y a-t-il pas un paradoxe, une contradiction, voire, une aporie, à prétendre que ce concept polymorphe, aux contours apparemment « flous », cette notion impalpable, voire improbable, puisse constituer la clé de voûte de ce qui apparaît ici –et je dirais même « ici-bas » et maintenant-, comme le plus nécessaire, le plus indispensable : le « vivre ensemble ».

 

C’est le pari, qu’ensemble, nous vous propose de tenter. « Si tu veux savoir où tu vas, tu dois savoir d’où tu viens ». Ce vieux précepte –universel- montre bien la nécessité en toute chose, de connaître ce qui précède pour comprendre, et si possible, anticiper ce qui va arriver : « On m’a vu ce que vous êtes, vous serez ce que je suis » comme l’a si bien dit Corneille. Si le mot « Laïcité » est récent (on le trouve pour la première fois dans le Littré en 1871), le concept, lui, a pris plus de mille ans à s’élaborer, en faisant, ce que l’on pourrait appeler des « sauts qualitatifs », ou encore, des ruptures, et continue de nos jours d’élargir son champ sémantique.

 

C’est ce que nous allons voir maintenant, en gardant bien présent à l’esprit cette loi universelle : tout mouvement engendre son contraire ; tout muscle agoniste a son muscle antagoniste ; toute action engendre une réaction ; toute force centrifuge implique une force centripète, etc … etc … et tout naturellement, le cléricalisme engendrera... l’anticléricalisme, base et origine de notre sujet …

 

Si donc, à son corps défendant, et paradoxalement, le cléricalisme jettera les bases de la Laïcité, il nous faut le définir comme « la doctrine favorable à l’intervention du clergé dans les affaires publiques ou encore, organisation politique où le clergé intervient directement et es qualité, dans les affaires de l’État ».

 

Mais revenons aux origines historiques de notre concept …

J’évoque simplement pour mention la conversion au christianisme de Clovis parce qu’elle marque le commencement dans notre histoire, de la collusion, du mariage politico-religieux dès le début du Haut Moyen-âge ; un cran supplémentaire –et décisif- sera franchi quelque 3 siècles plus tard, par le fils de Charlemagne, Louis le Pieux, tout un symbole ! qui, en 816, sera le premier roi sacré à Reims par le pape. Il devient ainsi élu de Dieu, et défenseur de l’Église ; dès lors est consacré le mariage du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Et il en sera ainsi pendant plus de 1000 ans, jusqu’en 1825 avec le dernier sacre à Reims d’un roi de France – qui allait bientôt n’être plus que le roi des Français- Charles X.

 

Ce faisant, la monarchie d’un côté, et le clergé de l’autre se protégeaient mutuellement et renforçaient leur pouvoir réciproque en s’épaulant l’un l’autre : le roi en se voyant conférer aux yeux du peuple une légitimité divine asseyait son pouvoir ; le clergé de son côté se voyait autorisé à prélever ses propres impôts, à faire prévaloir ses privilèges, et, asseyait donc également son pouvoir. Mais, on le verra plus loin, la présence de ces deux pouvoirs à visée hégémonique ne pouvait qu’aboutir à un conflit ; ou à un compromis : et c’est ce qui arrivera à plusieurs reprises.

 

Arrêtons-nous quelques instants, parce que cela aura des conséquences inattendues par la suite, à la première Croisade : jusqu’à cette époque, la France est géographiquement, quasiment cantonnée à l’Île-de-France, une partie de la Picardie, de la Normandie et une partie de la Champagne actuelles et les guerres successives auront pour but d’agrandir sans cesse le royaume ; parallèlement à cela, l’Église a dû faire face à de nombreuses difficultés internes et sa puissance semble décliner depuis la crise dite du « Millénarisme ».

 

Parallèlement aussi, en Afrique du Nord, en Espagne, au Moyen-Orient, et aux portes du royaume, s’affirme l’hégémonie d’une religion apparue quatre siècles auparavant : l’Islam, et la prise du Tombeau du Christ à Jérusalem par les Musulmans fournit au clergé une occasion rêvée pour « remobiliser » ses troupes et de se (re)légitimer à bon compte, promettant (dixit le pape Urbain II) « à tous ceux qui partiront ou qui mourront en route, que ce soit sur terre ou sur mer, ou qui perdront la vie en combattant les païens la rémission de leurs péchés », et il ajoute : «  quelle honte, si un peuple aussi méprisé (les Arabes) aussi dégradé, esclave des démons  l’emportait sur la nation qui s’adonne au culte de Dieu (la France) et qui s’honore du nom de chrétienne ». Prêche du pape Urbain II au concile de Clermont-Ferrand en 1095.

 

Cette exhortation guerrière à reconquérir le tombeau du Christ, sera l’occasion pour le clergé de revenir sur le devant de la scène ; et elle sera aussi l’occasion pour la monarchie de se débarrasser de nombre de vassaux ambitieux qui lorgnent sur une monarchie capétienne qui a encore du mal à asseoir son autorité. Mais l’issue de cette Croisade aura aussi une autre conséquence imprévue : la naissance en Champagne, en 1117, d’un ordre religieux de moines-chevaliers : les Templiers ; moines-chevaliers, leur dénomination même indique bien la collusion –du moins au début- entre les deux seuls ordres qui existent vraiment à l’époque : la monarchie et le clergé qui se soutiennent par intérêt.

 

Nous sommes au début du XIIème siècle et d’ici au tout début du XIVème, en deux cents ans, les Templiers allaient ébranler ce qui restait de l’Empire romain d’Occident ; ils seront de formidables bâtisseurs : on leur doit plusieurs milliers de châteaux, de commanderies, hôpitaux, fortifications. En outre, ils accumulent une immense fortune et se font banquiers ; leur siège est à Paris près du pouvoir, ce qui est pour eux une protection ; pensent-ils...

 

Cela ne leur épargnera pas une fin tragique ; en effet, cette richesse et cette popularité parmi le peuple attisaient la jalousie du roi ; cette indépendance vis-à-vis des évêques (ils ne rendaient compte qu’au pape) leur attira l’inimitié du clergé. Ils seront les victimes d’une terrible machination ourdie en grand secret par le roi Philippe IV Le Bel, qu’ils n’ont pas vue venir et feront l’objet d’un procès inique ; leur Grand Maître, Jacques de Molay et 50 hauts dignitaires seront torturés, mis à mort, leurs biens confisqués et l’Ordre dissous.

 

Ceci pour l’histoire, mais concernant le sujet qui nous intéresse, les Templiers allaient apporter une très importante pierre à l’édifice : leur opposition initiale aux Musulmans s’était assez rapidement transformée en cohabitation où les deux camps apprirent à mieux se connaître et progressivement, à s’estimer. A cette époque, 12ème, 13ème siècles, la civilisation musulmane est florissante, à son apogée : ils sont d'intrépides voyageurs : ils ont exploré toute la Méditerranée, le Moyen-Orient et sont même allés jusqu’en Chine, en Malaisie ; ils sont aussi d’habiles commerçants et sont parvenus au plus haut degré de connaissance dans les sciences, l’astronomie, la cartographie, l’alchimie-ancêtre de la chimie moderne-, les mathématiques (ils ont inventé l’algèbre), et surtout, pour notre sujet de ce soir, ils ont eu connaissance des textes grecs anciens, ceux d’Aristote notamment qui étaient perdus en Occident par des siècles d’invasions barbares et d’obscurantisme.

 

Ils avaient traduit ces textes et en donnent connaissance aux Templiers ; ceux-ci les ramèneront en Occident, via Venise –la porte de l’Orient- l’Italie n’est pas encore à son « quattrocento », mais c’est une mosaïque de Républiques et de Principautés ayant un haut degré de civilisation ; puis ces textes arriveront un peu plus tard en France, et alimenteront la pensée des Humanistes de la Renaissance : Érasme, Rabelais, Montaigne.

 

Mais, revenons au roi Philippe IV le Bel. Pourquoi ?

L’historien Georges Weill, (1865-1944) professeur à l’université de Caen, historien de l’idée républicaine et de l’éducation au XIXe siècle, spécialiste du catholicisme libéral, distingue 4 courants ayant contribué à la conception laïque de l’État :

1) les catholiques héritiers de la tradition gallicane de la monarchie ;

2) les protestants libéraux ; nous évoquerons l’avènement du protestantisme ;

3) les déistes de toutes sensibilités du Siècle des Lumières ;

4) enfin, les libres-penseurs, les francs-maçons et les athées.

 

1) Les catholiques héritiers de la tradition gallicane de la monarchie d’Ancien Régime :

La querelle des investitures opposant –déjà- au XIe siècle le pape Grégoire VII à l'empereur germanique où le pape cherche à définir son indépendance et celle de l'Église à côté des pouvoirs politiques, est un point fondamental : par cet épisode est entériné le fait que pouvoirs spirituel et politique peuvent, et finalement, doivent, être séparés.

 

Les rois de France ne l’oublieront jamais et feront tout pour ne pas voir les papes contester leur puissance. Le roi Philippe IV Le Bel (qui régna de 1285 à 1314) a de grandes ambitions pour le royaume de France que, par ailleurs, il agrandira considérablement ; mais son ambition hégémonique se heurte aux intérêts du pape ; dès lors, il décide de limiter l’influence de ce dernier dans la gestion de l’église catholique romaine en France et instaure le « gallicanisme », c’est-à-dire la prise en main par le pouvoir de l’organisation de l’Église de France, privant ainsi le pape de la courroie de transmission que constituait pour lui le clergé français placé directement sous ses ordres.

 

Le gallicanisme est une doctrine religieuse et politique sous-tendant l'organisation d'une Église catholique de France largement autonome du pape. Ce système affirme la spécificité française, et rejette une trop grande intervention du pape dans les affaires de l'Église de France. Il reconnaît au pape une primauté spirituelle et juridictionnelle, mais conteste sa toute-puissance, au bénéfice des conciles généraux dans l’Église, des évêques dans leurs diocèses et des souverains dans leurs États. En pratique, cela se traduit surtout par une mainmise étroite du souverain français sur les nominations et les décisions des évêques. Bien que respectueuse de la papauté, cette doctrine pose néanmoins certaines limites à sa puissance ; elle enseigne en particulier que les décisions des évêques réunis en concile l’emportent sur celles du pape.

 

Cette mainmise va perdurer, et s’accentuer jusqu’à l’apogée du règne de Louis XIV : en 1682, sur demande du roi, Bossuet rédige la déclaration dite « Déclaration des quatre articles » qui précise que le pouvoir du pape est purement spirituel et que le monarque ne peut lui être soumis ; les jugements du pape sur les questions de foi doivent être validés par l’église catholique française. Pour que ne se reproduise la rupture qu’avait provoquée Henri VIII en Angleterre à l’origine de l’anglicanisme, le pape est contraint d’accepter le diktat du roi.

 

Toutefois, Louis XIV se trouve rapidement pris au piège lorsque le gallicanisme et le jansénisme (*) sont trop étroitement liés : le gallicanisme français a en effet un aspect qui lui fait déclarer que l'autorité du pape est soumise à l'autorité de l'Église réunie en concile. Les jansénistes -combattus vigoureusement par Louis XIV- infléchissent nettement le gallicanisme dans ce sens.

 

Cela devient rapidement une menace pour le roi, qui peut craindre que cette demande « conciliariste » exprimée sur le plan religieux débouche sur le même type de demande politique : que les États Généraux se proclament supérieurs à l'autorité monarchique, notamment.

 

Il ne met donc pas véritablement en place ce gallicanisme et préfère s'allier au pape pour combattre le jansénisme. En effet, la légitimité de la monarchie absolue reposait sur le droit divin matérialisé par le sacre du roi avec l’huile de la sainte ampoule ; elle ne pouvait donc se passer de l’Église catholique.

 

 

(*) doctrine religieuse née en France au XVIIème siècle. Ce mouvement privilégiait l’initiative divine à la liberté humaine et s’opposait à l’arbitraire royal et à la morale mondaine –la casuistique- des jésuites. Les jansénistes étaient des « gallicanistes » de stricte obédience d’une grande austérité.

 

En guise de conclusion provisoire

 

 

Les lignes qui précèdent montrent que dès le début du Haut Moyen-âge, des conflits, des luttes d’influence entre les deux ordres prééminents, le roi et ses vassaux d’un côté, et le clergé de l’autre sont nés ; chaque camp a besoin de l’autre pour asseoir son pouvoir, sa légitimité. Nous verrons que cette collusion, ce « mariage politico-religieux » durera des siècles, prendra divers aspects. Et ce n’est probablement pas fini. C’est cette longue et formidable suite d’événements, riche, intense, dramatique, particulière, intimement constitutive de notre Histoire qui a modelé ce concept unique que nous appelons : « Laïcité à la française ».

 

(fin de la première partie)