La Laïcité, pilier de la République,

pilier du « vivre ensemble »

 

( Partie 4 sur 5 )

 

 

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Les congrégations religieuses, favorisées dans l’enseignement par la loi Falloux sont alors vues comme des entités socialement inutiles et nuisibles au progrès de la nation. C’est ainsi que Léon Gambetta déclare : « Il faut refouler l’ennemi, le cléricalisme, et amener le laïque, le citoyen, le savant, le français, dans nos établissements d’instruction, lui élever des écoles, créer des professeurs, des maîtres. »

 

Il convient de citer quelques « grandes figures »,

et au premier rang desquelles …

 

Jules Ferry :

Encore marqués par la défaite de 1870, les dirigeants de la 3ème République veulent aller plus loin en donnant à l’école la tâche de former de bons républicains et de bons patriotes. Jules Ferry, avocat passionné par la chose publique, sincèrement républicain, réformera alors profondément l’organisation scolaire de la 3ème République, ce qui fera de lui une figure emblématique de la laïcité française.

 

En février 1879, il devient ministre de l’Instruction publique. En septembre 1880 il devient président du Conseil et poursuit la laïcisation de la société en s’appuyant sur une réforme de l’enseignement public (1880-1881). Son influence se lit notamment à travers les étapes suivantes : en février 1880, les ecclésiastiques sont exclus du Conseil supérieur de l’Instruction publique ; en mars, l’enseignement catholique est exclu des jurys universitaires et les congrégations sont priées de quitter leurs instituts d’enseignement (jésuites, maristes, dominicains, assomptionnistes …).

 

En décembre, c’est la loi de Camille Sée portant sur la création de collèges et de lycées de jeunes filles ; en juin 1881, sur un rapport de Paul Bert, ancien ministre de l’Instruction publique durant le bref gouvernement Gambetta, l’enseignement primaire devient gratuit.

 

En 1882, Jules Ferry est à nouveau ministre de l’Instruction. Le 28 mars, la loi relative à l’obligation et à la laïcité de l’enseignement est votée. Elle porte sur l’obligation d’instruction — et non de scolarisation, l’article 4 indiquant que l’instruction peut être donnée dans les établissements d’instruction, les écoles publiques ou libres ou dans les familles.

 

L’enseignement de la morale religieuse est supprimé, au profit d’une « instruction morale et civique ». Un jour par semaine est réservé, en sus du dimanche, à l’enseignement éventuel du catéchisme. En novembre 1883, J. Ferry envoie aux instituteurs une lettre de « recommandations » sur le nouveau régime scolaire :

« La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire : d’une part, elle met en dehors du programme obligatoire l’enseignement de tout dogme particulier ; d’autre part, elle y place au premier rang l’enseignement moral et civique. L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale à l’école.

 

Le législateur n’a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l’école de l’Église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous.

Mais il y a autre chose dans la loi du 28 mars : elle exprime la volonté de fonder chez nous une éducation nationale, et de la fonder sur les notions du devoir et du droit que le législateur n’hésite pas à inscrire au nombre des premières vérités que nul ne peut ignorer. Pour cette partie capitale de l’éducation, c’est sur vous, Monsieur, que les pouvoirs publics ont compté. En vous dispensant de l’enseignement religieux, on n’a pas songé à vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession.

Au contraire, il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celle du langage ou du calcul. […] Vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée, qui est la conscience de l’enfant. »

 

Paul Bert : il est, avec Jules Ferry, le père fondateur de l’école gratuite, laïque et obligatoire. Sa loi du 9 août 1879 impose l’existence de deux Écoles Normales par département : une de garçons, et une de filles, pour les élèves institutrices. Les jeunes maîtres et maîtresses sortant de ces établissements seront appelés les « hussards noirs de la République ». Libre-penseur, franc-maçon, fidèle à la devise « Ni dieu, ni maître, à bas la calotte et vive la Sociale », Paul Bert oppose la science à la religion : « Avec la science, plus de superstitions possibles, plus d’espérances insensées, plus de ces crédulités niaises, de ces croyances aux miracles, à l’anarchie dans la nature. » ; En 1880, il intervient devant la Chambre des députés en tant que rapporteur du projet de loi qui porte son nom, pour évoquer le principe de laïcité (et notamment la liberté de conscience) appliqué à l’enseignement primaire obligatoire :

 

« Nous édictons une loi qui peut frapper de peines assez sévères le père de famille, s’il n'envoie pas son enfant à l'école ; en présence de cette situation […] il nous a paru indispensable d’affirmer au père de famille que rien ne sera enseigné dans cette école qui puisse porter atteinte à la liberté de conscience de son enfant et à la sienne propre»

 

En 1886, il collabore aux côtés de Jean Macé à la direction de la Ligue de l’Enseignement, qui milite pour une instruction publique, obligatoire, gratuite et laïque.

 

Ferdinand Buisson : directeur de l’Enseignement primaire de 1879 à 1896 supervise supervise le travail d’écriture et de conception des lois sur la laïcité dans l’éducation. Parallèlement, il dirige la rédaction d’un Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire dont il rédige lui-même l’article sur la laïcité :

 

« La législation française est la seule qui ait établi le régime de la laïcité d’une façon logique et complète : laïcité de l’enseignement, laïcité du personnel enseignant. Que faut-il entendre par laïcité de l’enseignement ? Nous estimons qu’il faut prendre ces mots dans le sens qui se présente le premier à l’esprit, c’est-à-dire dans leur acception la plus correcte et la plus simple : l’enseignement primaire est laïque, en ce qu’il ne se confond plus avec l’enseignement religieux. »

 

 

René Goblet : en 1886, la loi Goblet, du nom de René Goblet, (alors ministre de l’Instruction publique) interdit aux religieux d’enseigner dans les établissements publics. Plus généralement, elle redéfinit l’organisation de l’enseignement primaire. Lors de la présentation devant le Sénat du rapport de la commission ayant étudié le projet de loi, le sénateur Jean-Baptiste Ferrouillat expose les fondements laïques du projet de reconstruction de l’enseignement :

 

« La loi du 28 mars 1882 a laïcisé les programmes : cela impose la laïcité du personnel enseignant : il n’est pas rationnel (il est même risqué) de mettre des religieux à la tête d’une école où l’enseignement de la religion n’a plus de place ; en cas de conflit avec la hiérarchie, à qui obéirait l’enseignant « religieux » ? à Dieu ou à l’État ? N’est-il pas même à la fois illogique et imprudent, de la part de l’État, de confier la jeunesse française, pour lui donner les notions des devoirs civiques et éveiller en elle l’amour de nos institutions, à des maîtres qui obéissent à des chefs étrangers et qui se montrent, par principe, hostiles aux institutions républicaines et aux idées de la société moderne ? »

 

La loi Goblet contient la première référence explicite à la laïcité dans un texte légal : article 17 : « Dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque. ».

 

Les « grandes lois » de laïcisation de l’État :

 

La loi de 1901 :

En 1901, la loi sur les associations dite loi du 1er juillet 1901, ou loi Waldeck-Rousseau, autorise la création rapide de toutes sortes d’associations, sous réserve qu’elles ne soient pas confessionnelles. Le Titre III de cette loi est anti-congréganiste :

 

« Toute congrégation religieuse peut obtenir la reconnaissance légale par décret rendu sur avis conforme du Conseil d’État. […] À défaut de […] justification, elles sont réputées dissoutes de plein droit. [..]La liquidation des biens détenus par elles aura lieu en justice. »

 

Sur 160 000 religieux et religieuses, 30 000 choisissent l’exil. Il existe aussi à cette époque des communautés de diaconesses protestantes qui, n’ayant jamais demandé d’autorisation, n’ont pas l’obligation d’obtenir une reconnaissance légale. En mai 1902, avec la nomination d’Émile Combes à la présidence du Conseil, le gouvernement prend une coloration fortement anticléricale. Certains militaires se rebellent, tel le commandant Barthélemy-Emmanuel Le Roy Ladurie, (grand-père du célèbre historien Emmanuel Le Roy Ladurie), destitué de ses fonctions par le Conseil de guerre en août 1902.

 

La loi de 1904 :

La loi du 5 juillet 1904 interdit aux congrégations religieuses le droit d'enseigner. Au cours de l’été 1904, une série de mesures visant à combattre l’influence de l’Église sont prises : débaptisation des rues portant un nom de saint, fermeture de 2.500 écoles religieuses, promotion systématique des fonctionnaires anticléricaux et révocation des catholiques. Le 30 juillet la rupture diplomatique avec le Saint-Siège est consommée.

 

La même année, une vaste enquête secrète est réalisée par le ministre André qui réunit vingt-mille fiches sur les pratiques religieuses des hauts fonctionnaires et des gradés de l’armée. Le 11 novembre 1904 l’affaire des fiches est dévoilée par la presse d’opposition et le gouvernement Combes doit démissionner !

 

La loi de 1905 : loi de compromis et fruit de la volonté et de la raison :

Comme je l’ai souligné au début de notre réunion, sans contenir de référence explicite à la Laïcité, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est considérée comme le pilier des institutions laïques. Elle pose le principe de la liberté de conscience et celui du libre exercice des cultes. Parallèlement, elle affirme son intention de sécularisation en confiant à l’État les biens confisqués à l’Église et en supprimant la rémunération du clergé par l’État.

 

Les partisans de la laïcité se partagent alors en deux camps : les premiers, de tradition jacobine, espèrent éradiquer l’emprise des religions sur l’espace public et promeuvent une politique clairement anticléricale (Émile Combes), voire antireligieuse (Maurice Allard) ; les seconds veulent d’une part affirmer la neutralité de l’État, et d’autre part garantir la liberté de conscience de chacun.

 

Alors que les premiers ont dominé les débats jusqu’à l’affaire des fiches, la loi de 1905 est l’œuvre des personnalités de l’autre camp. Mais celui-ci, qui veut respecter la liberté de conscience et de culte, se divise également entre ceux qui veulent le faire dans le cadre de l’universalisme abstrait républicain (Fernand Buisson, Georges Clémenceau) et les accommodeurs (Jean Jaurès, Francis de Pressencé, et surtout, Aristide Briand). Ce sont ces derniers qui vont faire adopter un article 4, d’origine anglo-saxonne, qui remet les églises à ceux « qui se conforment aux règles générales du culte dont ils se proposent d’assurer l’exercice » (ce qui, indirectement, respecte l’organisation hiérarchique de l’Église catholique).

 

Conçue comme une nécessité, mais avec un souci d’apaisement,

 

cette loi mettra fin à plus de vingt-cinq ans de tensions

 

entre l’Église catholique et la République.

 

Le texte :

Dès l’article premier, la loi rappelle strictement et uniquement l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. ».

 

S’agissant de la liberté de conscience, l’État reste garant de la liberté de chacun de pratiquer la religion qu’il souhaite (ou de n’en pratiquer aucune), tant que cet exercice se fait dans le respect de l'ordre public. C’est dans cet esprit que sont prévues certaines dispositions libérales, qui sont décriées par les laïques les plus radicaux, comme la gratuité de la mise à disposition des édifices religieux par les communes ou la création d’aumôneries dans les casernes, lycées, prisons, hôpitaux, etc.

 

 

En guise de conclusion provisoire

 

 

 

Le thème de cet article aurait pu être : « La Laïcité, pilier de la 3ème République », tant ce thème –la Laïcité- tient au cœur des dirigeants d’alors. Il apparaît aussi, que l'éducation tient une place primordiale parmi les préoccupations des dirigeants. C'est logique, en ces temps de scientisme, de primauté de la raison sur la croyance et de conviction que seule la connaissance pouvait vaincre l’obscurantisme. Logique aussi, qu’au nom de l'universalisme, la France veuille répandre sur le Monde entier les idéaux de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, et que pour ce faire, l’éveil des consciences, l’éducation devaient avoir la primauté sur la croyance aveugle qui ne pouvait être qu’aliénation. En toute logique, l’instruction seule pouvait permettre à tout un chacun d’être, sinon maître de son destin, mais au moins, d’être un citoyen libre et éclairé. Capable de mieux comprendre le monde dans lequel il évolue. Mais depuis, de longs et pénibles efforts restent encore à accomplir ; les ennemis de la « gueuse » ne désarment pas ; le parti clérical non plus….


 

(fin de la quatrième partie)