Histoire des banquets républicains 

(2ème partie)

Nous avons vu comment les banquets républicains qui se sont multipliés au cours de la seconde moitié du XIXème siècle sont devenus, non pas l’apanage de la gauche, mais ont permis la propagation des idées « progressistes » et laïques qui étaient, sinon à contre-courant à cette époque, mais en tout cas, minoritaires. Alors, il convient de voir de plus près pourquoi et comment les banquets –à défaut d’être « républicains »- ont pu devenir les vecteurs d’idées nouvelles.

Dès la plus haute antiquité les banquets ont toujours été des moments de réjouissance, de célébration d’évènements heureux, de réconciliation, etc … qui souvent, se terminaient par des chansons : pour preuve, la dernière scène des albums d’Astérix … mais il est vrai que là, le barde Assurancetourix n’a pas vraiment le bon rôle …

 

Il convient également de faire un distinguo de taille : il ne faut pas confondre « banquet » avec « festin » ; ce dernier implique que la place de choix est réservée aux mets, à leur abondance, à leur valeur, voire, à leur rareté : ne dit-on pas « un festin de roi ? ». En outre, le festin n’implique pas un grand nombre de participants, et n’implique pas non plus que l’on y soit venu pour autre chose que la qualité des mets … Il convient en premier de faire honneur à l’hôte reçu en lui offrant ce qu’il y a de meilleur, de plus rare, de plus cher.

 

Le banquet, en revanche, sous-tend un but, une finalité qui dépasse le repas lui-même, malgré la modestie de l’origine de son nom. En effet, le mot « banquet » provient d'un mot latin « banchetto » signifiant « petit banc », celui-là même sur lesquels s'asseyaient les convives d'un repas. Cette origine fleurant bon la convivialité tout autant que la modestie sied mal avec l'acception moderne que l’on donne souvent à ce mot : repas d'apparat où sont conviés de nombreuses personnes.

 

Le rôle primordial d’un banquet n’est pas le seul plaisir des mets ; ce plaisir est même très secondaire. En revanche, ce qui compte est « d’être là », parce que la raison pour laquelle le banquet est donné dépasse la présence même des présents : il s’y dit « quelque chose », il a une raison d’être supérieure au seul fait d’exister. Les exemples sont nombreux : si l’existence du banquet de Platon est parvenue jusqu’à nous, et que le nom des quatorze convives qui y ont participé est connue alors même que l’on a aucune idée de ce qui y fut consommé est bien la preuve que le « contenu » dépasse, et de loin, le simple « contenant » ; il en est de même pour la Cène, banquet pré-mortuaire cher aux chrétiens. Le banquet était toujours un « passage obligé », un moment important ponctuant un événement, un instant où se disait, se faisait des choses importantes, une sorte de rituel … qui, notamment, ponctuait l’adoubement des chevaliers -pas seulement de la Table Ronde-, l’intronisation des compagnons dans leurs corporations de métiers, etc …

 

Mais il faut bien avoir à l’esprit que l’acception du terme a varié selon les époques ; ainsi, l’Encyclopédie du XIXème siècle donne du banquet une définition (datée de 1838) comme étant : « une réunion d’individus assemblés pour manger, boire et se livrer à des conversations soit enjouées soit sérieuses en vogue chez les anciens », mais ajoute, plus loin : « …/… les banquets politiques, où, vers la fin du repas plusieurs convives portent des toasts ordinairement suivis d’allocutions analogues au sentiment qui a déterminé la réunion ».

Le banquet est donc un repas rituel devenu « repas à thème ». Le sujet traité est plus important que le contenu de la table, alors que la finalité du festin est gastronomique ; la relation qui unit les convives entre eux, qui unit les convives avec le thème qui les réunit est plus important que le menu lui-même.

L’une des raisons majeures du succès des banquets républicains a justement été … que légalement, ils ont été longtemps interdits !!! Et il faut se souvenir que …

 

« La loi Le Chapelier de 1791 qui interdit les associations favorise l’individualisme en politique. Pendant longtemps et dans les premières élections de la IIIème République, les Français ont élu les hommes influents de leur circonscription : propriétaires terriens, nobles, entrepreneurs… Quand les Républicains parviennent à faire entendre leur message politique, ils sont élus pour leurs orientations face aux problèmes politiques du pays. Ce n’est qu'en 1901 qu’apparaît le premier parti, le Parti Radical et en 1905 le parti de la SFIO. Ce sont deux partis de gauche. La droite met plus longtemps à créer des partis organisés. Pendant longtemps, les partis de droite sont des groupes informels …/… Ce n’est qu’en 1958 que les partis politiques sont institutionnalisés, l'article 4 de la Constitution Française du 4 octobre 1958 prévoyant leurs droits. » (se former librement, se présenter aux élections, garantie du pluralisme politique) et leurs devoirs (respecter la souveraineté nationale et la démocratie) ». (Cf. : Wikipédia).

De même que les partis politiques n’avaient pas d’existence légale, les syndicats non plus n’existaient pas ; ce n’est qu’en 1884, (loi du 21 mars) que la loi Waldeck-Rousseau permettra aux syndicats ou associations professionnelles de se constituer librement sans l’autorisation du gouvernement ; la liberté d’association n’existe pas non plus : il faudra attendre la loi du 1er juillet 1901 (même si celle-ci avait, à l’origine, un autre but politique, mais ce n’est pas le sujet du jour …).

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les sociétés secrètes, les loges maçonniques notamment parce qu’elles étaient « tolérées », à défaut d’être autorisées aient été, dès la chute de la Monarchie de juillet, et la proclamation de la IIème République, très impliquées dans l’organisation de ce qu’il sera convenu d’appeler la « campagne des Banquets Républicains » qui aura par la suite une influence que personne n’imaginait … En effet, les loges dès cette époque étaient, pour la majeure partie d’entre elles, acquises aux idéaux de la République : Liberté, Égalité, Fraternité, mais aussi, travaillaient aux bases de la séparation des Églises et de l’État qui devaient aboutir à la fameuse loi du 9 décembre 1905, dont Émile Combes, président du Conseil, radical et franc-maçon fut l’un des piliers.

 

Conclusion provisoire …

Liberté, Égalité, Fraternité, non pas seulement leur concept, mais leur réalité concrète, leur mise en application, et aussi Solidarité et Laïcité ne sont pas des vains mots. Ils sont pleinement constitutifs de notre Pays, la France et se sont imposés après des siècles de luttes et d’obstination de la raison des humanistes, des philosophes des Lumières, du courage politique des grands hommes de la République, contre tous les cléricalismes, tous les obscurantismes. Et c’est maintenant, au sens de ce que dit Ernest Renan dans son texte : « Qu'est-ce qu'une Nation ? » la responsabilité de chacun(e) d'entre nous de faire prospérer et fructifier cet héritage ; de faire partager au plus grand nombre cette idée simple que la République est en fait la « res publica », la « chose publique » ; que chacun en est à la fois, comptable et gardien, dans le respect mutuel et réciproque des opinions personnelles de chacun -il s’agit là de la sphère privée-, et du respect par tous des lois de la République dans le cadre de la sphère publique. Et la seule condition possible pour la réalisation de cet équilibre est la Laïcité, garante et condition nécessaire du « vivre ensemble ».

Et pour finir …

Petit clin d’œil …

Tous ces propos vous sembleront peut-être graves et sérieux ;

et peut-être aussi vous direz-vous qu’un banquet, dans ces conditions,

risque d’être ennuyeux ;

alors, permettez-moi de vous donner un conseil :

venez à plusieurs, demandez à des ami(es) de vous accompagner !!!