La République : l'un et le multiple

 

Cher(ère) visiteur, visiteuse...

Un membre de l'association « Republique-Avenir », et par ailleurs lui-même visiteur assidu du site, nous fait part de sa vision de la République. C'est une contribution très intéressante qui vous est ici proposée, intitulée : « La République : l'un et le multiple », dans laquelle chacun reconnaîtra les références à la Grèce et à la Rome antique, à Montesquieu -pour la séparation des pouvoirs-, à Rousseau -pour l'abandon d'une partie de ses libertés que chacun doit consentir au bénéfice du « contrat social » ; qui évoque Renan qui a fortement marqué de son empreinte la notion de Nation ; chacun appréciera aussi la large part faite à la Révolution qui fait émerger les notions de citoyen, de Nation et d’État ; mais qui rappelle aussi la conception de Condorcet, qui peut être tenu pour le père de la notion de République au sens moderne ; enfin, la référence à la Constitution de 1946 précisant que la France est une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale », toutes notions dont il convient urgemment aujourd'hui de se réapproprier le sens et la portée. Pour qu'elles ne soient pas dévoyées ! Ou qu'il ne soit trop tard !!!

Alors je vous souhaite bonne lecture de cette contribution claire, simple, mais fouillée qui fait appel à la philosophie, à l'Histoire, mais aussi, au pouvoir poétique de la métaphore ; qui embrasse bien le sujet et montre combien cette conception de la République, hors de toute transcendance, hors de toute idée d'exclusion, mais bien au contraire, généreuse, pur produit du Siècle des Lumières ne peut être shismatique, mais au contraire, est la rencontre harmonieuse, au bénéfice du plus grand nombre, de l'un et du multiple, seule garante possible, si elle est bien comprise -et appliquée- de la paix .

Alain Mourot

Président

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La République : l'un et le multiple

 

Aujourd’hui, songeant à la France actuelle avec les outils qui m’ont été donnés -raison, philosophie, histoire- je regarde la République comme attribut de l’humanité. Entendons ici attribut comme étant « ce que l’entendement perçoit d’une substance comme constituant son essence », ainsi que nous le présente Spinoza dans « L’Éthique ».

Et je me demande en quoi et pourquoi la République apparait comme la forme d’organisation la plus adaptée à la recherche permanente de la paix et de l’harmonie. J’ai donc pris la liberté de l’observer comme un bâtisseur en cherchant à comprendre le jeu des forces en présence pour garantir son unité alors même que les femmes et les hommes qui la constituent sont multiples en nombre et en forme.

Ma réflexion s’appuie sur un constat : l’homme ne vit pas seul sur une île déserte avec pour seul interlocuteur l’environnement qui garantira sa subsistance ou sa déchéance. Sorti de l’animalité, il est conscient de cet état et fait corps avec ses contemporains pour constituer une Cité comme rempart à toute forme de violence qui pourrait conduire à sa destruction.

Cette cité des hommes, inclut ou intègre ces derniers au fur et à mesure de leurs rencontres. Elle diffère de la famille parce qu’une convention, écrite ou non, préside à sa réalisation. Elle peut prendre différentes formes. Du village à la Nation, elle fixe des limites qui permettant à chacun de se « connaître ou de se reconnaître comme individu d’un groupe fondé sur l’appartenance dans le temps et dans l’espace à une communauté d’intérêt(s) ».

Forme particulière de la Cité des hommes, la République ne fait appel à aucune forme de transcendance ; elle est tout à la fois l’homme, l’homme d’abord et tous les hommes. Elle est librement délibérée et voulue par ceux qui la constituent.

Je choisis ici d’affiner ma réflexion en observant la France, comme République.

Ainsi, en 1789, par l’acte Révolutionnaire, « force violente », et par la proclamation de la « Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen », (26 août 1789 ndlr), « mesure des mots », l’individu, sujet du Roi, meurt et choisit de devenir un citoyen, libre, égal en droit, mais bénéficiant de la sûreté de l’État.

Alors que la France a connu la violence du désordre, l’article 1er de cette déclaration énonce les droits fondamentaux de l’Homme, individu libre et propriétaire de sa destinée ; et l’article 4 (1) fixe à la fois l’ordre de son intégrité et la volonté de cette intégrité. Droits et devoirs convergent pour un appel sans cesse renouvelé à la dignité pour tous et façonnent le citoyen.

Ces deux actes fondateurs, font apparaître le citoyen, certes comme une abstraction, mais surtout comme l’expression individuelle du peuple qui construit la Nation. Il devient l’attribut de cette Nation, à l’image de la cité des hommes comme un attribut de l’humanité. Le champ des possibles est alors ouvert.

Quand la Convention nationale (2) proclame la République et renverse la monarchie constitutionnelle, le 22 septembre 1792, c’en est fini du « le roi et les hommes libres ». Le citoyen, le peuple souverain et une souveraineté unique garantissent désormais la paix à l’intérieur des frontières de la Nation. La République s’installe par l’acte constitutionnel de 1793. Elle unit le citoyen, la Nation et l’État, tous trois « un et indivisibles » et se dote des outils pour maintenir l’espace de leur unité et celle du territoire dans le temps.

Cet esprit constitutionnel traversera le temps, connaîtra des détournements temporaires et des combats intérieurs, pour nous conduire aujourd’hui à vivre ensemble selon les principes d’une République toujours indivisible. Comme une chaîne d’union qui unirait les hommes ; qui nous viendrait du passé et tendrait vers l’avenir...

Non, la République n’est pas un État libéral. Elle ne donne pas la possibilité à chaque individu d’accepter les seules valeurs qui lui plaisent. Elle n’est pas non plus une principauté, source de division du territoire en pouvoirs locaux. Elle n’est pas une communauté de territoires ou d’individus placés les uns à coté des autres.

République, « res publica », chose publique, organisation politique, État, Nation ; Elle est une communauté de citoyens qui participent, au jour le jour, et au fur et à mesure des rencontres à la constitution du peuple qui construit la Nation. Elle unit ouvertement le corps social par le recours inconditionnel aux valeurs de liberté, d’égalité des droits et devoirs et de fraternité. Elle unifie par la loi les éventuelles rivalités pour créer une vocation universelle aux parties qui la constituent. Elle entend enfin que chacun se contraigne pour accepter et maintenir l’équilibre des forces en présence en faisant appel à la citoyenneté comme une éthique qui se pratique pour rendre raison des éventuelles attaques barbares.

La République n’est donc pas simplement une démocratie même si d’une et indivisible, elle est devenue avec la Constitution de 1946, indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle forme une communauté d’esprit qui permet d’une part, de dépasser les frontières individuelles, et, d’autre part d’engager une recherche permanente de ce qu’il y a d’universel en chacun.

Territoire de l’esprit et du monde, elle permet de se préserver et d’avancer ensemble pour ouvrir le chantier permanent des possibles. Elle organise la vie des hommes dans le temps et l’espace en leur donnant le pouvoir de transformer la réalité. Mais bâtir une telle cité demande aux hommes qui y travaillent de résoudre une équation, celle du passage de la multitude des membres à la formation d’une volonté commune par la cohésion politique.

Ici, le peuple n’est pas la foule ; il construit la Nation, il constitue un corps commun, le SOMA KOINON, (des Grecs antiques : ndlr) la chose commune dont la source se trouve à la fois dans la séparation et l’équilibre des pouvoirs mais aussi dans la reconnaissance des institutions. Et cette chose commune est la marque d’un cadre de pensée spécifique qui observe le singulier comme l’émanation d’un tout.

J’imagine ici, comme a pu l’énoncer Platon, que le peuple est un visage. Le nez, les yeux, les oreilles, la joue, les lèvres, le front et la peau sont individuellement reconnaissables mais indissociables dans la conception du tout qu’ils constituent. Le multiple que la sensibilité perçoit devient l’unité que l’entendement construit comme un tout « un et indivisible ». En conséquence de quoi l’a priori du système binaire qui conduit à isoler les parties est dépassé par le recours à une pensée ternaire qui dessine les contours de la réciprocité.

Alors si le peuple n’est pas la foule, il n’est pas non plus la société civile. Il exige la citoyenneté, comme forme de réciprocité principale et non pas simplement la civilité comme forme d’interaction individuelle. Par cette volonté, il évacue les rivalités destructrices de l’espace commun et ramène chacun au principe d’unité. Il ne laisse pas s’exprimer dans un rapport de force permanent la violence intrinsèque du fait majoritaire qui doit être imposé à la minorité. En effet, la citoyenneté est un dépassement permanent des contingences de l’OÏKOS, et de sa satisfaction des besoins ; elle est un outil et une force pour bâtir la possibilité d’une destinée commune librement consentie. ( OÏKOS : dans la Grèce antique, définissait l'ensemble des hommes et des biens rattachés à un même lieu -restreint, fermé- d'échanges économiques et de production ; ndlr).

C’est pour cette raison que nous retrouvons, dans l’organisation de l’État, la séparation des pouvoirs et l’appui des institutions. Elles seules, par la logique ternaire qui préside à leur existence, permettent de concrétiser et maintenir la fraternité en ouvrant les frontières que chaque individu pourrait ériger comme un mur infranchissable. Rappelons-nous ici, Romulus, qui tue son propre frère pour avoir franchi le sillon qu’il avait tracé à la charrue pour dessiner les contours de la future ville de Rome. L’espace sacré ne doit pas être à l’intérieur de la cité. Rien ne doit entraver la construction de la destinée commune. L’organisation de l’État en est garante.

L’homme ne vit pas seul sur une île déserte ; et c’est bien le constat que fait la République quand son peuple s’organise pour générer l’harmonie nécessaire à sa pérennité dans la paix civile et choisit le citoyen à l’individu pour rendre effective l’unité de la Nation.

En croquant la pomme de la connaissance, l’homme s’est rendu compte qu’il était nu, percevant ainsi la différence des corps que l’unité de l’Eden avait masquée à son regard. Dans un miroir placé devant lui -Ève comme symbole de l’altérité- il a perçu à la fois son meilleur ami mais aussi son pire ennemi, le même dans l’autre comme, à la fois, rappel à la plénitude du tout et source de la violence qui conduit au désordre. Dans la cité des hommes cette métaphore m’a conduit à reconnaitre dans le citoyen cet ami qui se cache derrière le miroir et qui permet la réconciliation avec l’unité du monde. Il est cet être de raison qui abandonne l’esprit de famille, de clan ou de tribu ainsi que sa dimension privée affective ou émotionnelle pour ne retenir dans l’espace de sureté et de paix que constitue la République que l’idéal du beau et du bien qui rassemble ce qui est épars.

Et je reprends les mots d’Alexandre Dorna, (3) pour dire que ce citoyen, cet homme « est lié à d’autres hommes par un dialogue et une écoute réciproques, dont l’essence est le projet commun de sens. Il est capable de raisonner et d’élucider, en dehors des passions, le pour et le contre, pour répondre aux questions qui lui sont posées par la société. » Il fait usage d’outils, essentiellement basés sur la raison, pour prendre -métaphoriquement en tant que pierre- la place qui lui revient dans l’édifice républicain pour constituer le corps de la chose publique. Il n’est pas un individu « lambda » qui remplit le vide de l’espace intérieur dans la maison commune ; il est pleinement élément constitutif des murs qui consolident l’édifice.

Dès lors comment la rivalité d’un seul, ou l’égoïsme d’un autre pourraient-ils conduire à la destruction de cet édifice, alors que chaque pierre participe à le maintenir dans un équilibre permanent ? Seul le barbare, tel un bélier velléitaire, et rétif à la notion de « bien commun » pourrait faire trembler les murs de cet édifice en poussant ses pierres dans le vide de son intériorité. Mais la force de la République tient en cela, comme l’annonçait Condorcet dans l’idée de République permanente : « un édifice en rétablissement constant par l’ordre qu’il sait générer en son sein quand l’entendement de chacun dépasse les contingences du quotidien pour se tourner avec force et mesure vers le devenir de sa communauté de raison ».

La République n’agrège pas des individus isolés, mais reliés les uns aux autres par un organe suprême indépendant des expressions individuelles qui le composent. Elle fonde une communauté de destin qui participe à sa construction non pas comme éléments extérieurs à son bâti mais comme partie intégrante. Chaque citoyen apparait comme une pierre du temple Républicain. Les hommes et les femmes transformés en citoyens par l’école de la République ne sont pas des individus, ils sont dans leur convergence chacun le temple qui protège celles et ceux qui vivent en son sein.

Ce temple que constitue la République, ressemble étrangement à ce que je perçois dans un idéal d'absolu où l'on apprendrait à utiliser des outils pour créer le beau et le bien parce qu'en tant qu'humains, nous devrions avoir cette volonté commune de nous améliorer pour d’améliorer le monde. Nous sommes des pierres que nous ajustons pour constituer ce temps et cet espace qui, par la connaissance de nous-mêmes, nous permet de connaitre l’univers des dieux, sans faire appel à aucune forme de transcendance.

La République n’est pas schismatique, ne peut pas être schismatique . Et mon entendement me conduit à penser qu’il y aurait une Grammaire de la République commune à tous les hommes de bonne volonté dans le maniement des outils, des concepts, des idéaux qui conservent à la science la capacité de créer de l’universel. Le passage du multiple à l’unité, du désordre à l’ordre aurait pour principe le dépassement des contingences imposées par une vision binaire de toute chose. Ce seul passage du multiple à l’unité permet la recherche de l’unité principielle, de l’unité quand la partie devient l’attribut du tout.

Pas schismatique, la République est, au contraire, hospitalière, accueille quiconque entend en respecter et promouvoir les principes généreux ; pas schismatique, la République doit s’étendre à l’humanité. Édifice volontaire, elle pourra accueillir chaque nouvelle pierre en activant la capacité des autres à s'ajuster, par le bon usage de la volonté, de la bonne mesure et de la raison, dans les interstices qui la soudent. Elle permettra ainsi à chacun son intégration ; chaque pierre devenant ainsi, « clé de voûte » de l’édifice entier.

Ainsi, l’un et le multiple, sujet de cet article devient-il « l’un est le multiple » ; la République ainsi envisagée devenant alors le mouvement perpétuel, progressif à la recherche permanente de l’unité contre toute forme de rivalité auquel nous aspirons. Elle ajuste le tout qu’elle forme en donnant raison à cette projection: « quand deux fleuves se rencontrent, ils n’en forment pas un seul mais un autre ». Là est peut-être la plénitude du tout.

Paul Besombes

 

  1. Art. 4. - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

  2. Convention Nationale : nom donné à l'assemblée constituante qui gouverna la France du 21 septembre 1792 -veille de la proclamation de la 1ère République- au 26 octobre 1795

  3. Alexandre Dorna : psychosociologue français, universitaire -professeur de psychologie sociale et d'histoire de la psychologie à l'Université Caen jusqu'en 2015 ; président-fondateur de l'Association française de psychologie politique ; auteur de nombreux ouvrages, en français ou en espagnol -notamment sur le populisme- il a participé et/ou dirigé de nombreux travaux français ou étrangers (env. une centaine) ; docteur honoris causa de l'Université d'Arad (Roumanie).

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