Portrait de Charles Peguy

(1873 - 1914 )

par son ami

Jean-Pierre Laurens

(1875 - 1932 )

Regard de Charles Péguy sur le vote ...

 

Cher(ère) visiteur(euse) du site de République-Avenir...

Dans quelques semaines -22 et 29 janvier 2017- aura lieu la primaire de la gauche, en vue de désigner le « champion » qui concourra pour la présidentielle qui se déroulera les 23 avril (premier tour) et 7 mai pour le second, le « champion » de la droite étant déjà connu : François Fillon (UMP). Pour pouvoir participer à ces élections, la condition « sine qua non » est d'être inscrit sur les listes électorales. Celles-ci sont réactualisées chaque année, en fonction (hélas !) des décès, mais aussi de l'avancement en âge des personnes atteignant leur majorité, et enfin, en fonction de l'arrivée de nouvelles personnes dans les communes, celles-ci étant chargées de l'établissement et de la mise à jour des listes électorales. Or, il ne reste plus que quelques jours, pour ceux(celles) qui ne l'ont encore fait -ou dont l'inscription n'est pas automatique- pour s'inscrire sur les listes électorales. Beaucoup -hélas !- se diront que de toute façon, être inscrit ou pas, voter ou pas ne changera rien... et il est difficile de leur prouver le contraire... Peut-être... sauf que si voter est un droit, c'est aussi -contre-partie de ce droit- un devoir, certes,… uniquement civique, mais d'abord et avant tout, un devoir... moral !

 

Je me permets de rapporter ci-dessous ce qu'écrivait Charles Péguy, (1873-1914) dans « Notre Jeunesse » paru en 1910, quatre ans avant sa mort... Dans le passage ici reproduit, Charles Péguy s'adresse à son ami, Jean Variot, (1881-1962) auteur de nombreux romans (aujourd’hui oubliés), d'essais, de comédies musicales etc... lui-même ami de Georges Sorel, (1847-1922) théoricien du syndicaliste révolutionnaire et considéré comme introducteur actif du marxisme en France.

 

« République-Avenir » n'entend pas ici promouvoir quelque idéologie politique, philosophique, et encore moins religieuse que ce soit, ni faire l'apologie de quiconque. Mais incontestablement, Charles Péguy est un auteur majeur de la fin du XIX ème siècle et du début du XX ème ; il fut en outre un ardent défenseur d'Alfred Dreyfus. Sa mystique -au delà de son catholiscisme- et son patriotisme (plus tard, confondu et récupéré par les tenants du nationalisme) lui seront également reprochés...

 

Si l'on peut constater chez Péguy une rigueur morale qui frise le rigorisme, on doit lui reconnaître une grande honnêteté intellectuelle, et une cohérence dans sa pensée. Et pour en revenir au thème de cet article, je ne résiste pas au plaisir de citer à nouveau Péguy qui -infiniment lucide- écrivait : « Toute la philosophie humaine repose, qu'on le veuille ou non, sur ce principe évident que, quand deux hommes ou deux partis sont aux prises, le tiers qui prétend rester neutre favorise en réalité celui des deux adversaires qui réussira. »

 

Alors, à bon entendeur, salut !

 

Court extrait de « Notre Jeunesse » :

 

« Vous oubliez, vous méconnaissez qu’il y a eu une mystique républicaine ; et de l’oublier et de la méconnaître ne fera pas qu’elle n’ait pas été. Des hommes sont morts pour la liberté comme des hommes sont morts pour la foi. Ces élections aujourd’hui vous paraissent une formalité grotesque, universellement menteuse, truquée de toutes parts. Et vous avez le droit de le dire. Mais des hommes ont vécu, des hommes sans nombre, des héros, des martyrs, et je dirai des saints, – et quand je dis des saints je sais peut-être ce que je dis, – des hommes ont vécu sans nombre, héroïquement, saintement, des hommes ont souffert, des hommes sont morts, tout un peuple a vécu pour que le dernier des imbéciles aujourd’hui ait le droit d’accomplir cette formalité truquée. Ce fut un terrible, un laborieux, un redoutable enfantement. Ce ne fut pas toujours du dernier grotesque. Et des peuples autour de nous, des peuples entiers, des races travaillent du même enfantement douloureux, travaillent et luttent pour obtenir cette formalité dérisoire. Ces élections sont dérisoires. Mais il y a eu un temps, mon cher Variot, un temps héroïque où les malades et les mourants se faisaient porter dans des chaises pour aller déposer leur bulletin dans l’urne. Déposer son bulletin dans l’urne, cette expression vous paraît aujourd’hui du dernier grotesque. Elle a été préparée par un siècle d’héroïsme. Non pas d’héroïsme à la manque, d’un héroïsme à la littéraire. Par un siècle du plus incontestable, du plus authentique héroïsme. Et je dirai du plus français. Ces élections sont dérisoires.

/...

Ces élections sont dérisoires. Mais l’héroïsme et la sainteté avec lesquels, moyennant lesquels on obtient des résultats dérisoires, temporellement dérisoires, c’est tout ce qu’il y a de plus grand, de plus sacré au monde. C’est tout ce qu’il y a de plus beau. Vous nous reprochez la dégradation temporelle de ces résultats, de nos résultats. Voyez vous-mêmes. Voyez vos propres résultats. Vous nous parlez toujours de la dégradation républicaine. La dégradation de la mystique en politique n’est-elle pas une loi commune. »

 

« Notre Jeunesse » -1910-, pp 66 & 67