La finance est-elle un danger pour la démocratie ?

 

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Dire que le fossé entre les « riches » et les « pauvres » n'a jamais été aussi large est un truisme : pour les premiers (de cordée !) c'est un constat logique eu égard à leur travail disent-ils ; pour les seconds -les pauvres- c'est un constat aussi cynique que cruel, mais une réalité, hélas ! Qui est responsable de cet état de fait ? Bien évidemment, la réponse n'est pas, ne peut pas être unique ni unanimement partagée et il ne m'appartient pas de désigner un ou LE « coupable ».

 

République-Avenir vous propose ci-après un texte qui nous plonge dans un milieu dont l'immense majorité d'entre-nous ne sait que peu de choses : le monde de la finance ! Fouillé, argumenté, sa lecture, très éclairante, nous montre comment et pourquoi ce monde existe et œuvre dans une sorte de clair-obscur par la contradiction de deux notions nécessaires : la « transparence » d'une part, au nom de la démocratie, et d'autre part, le « secret » en vertu du principe : « pour vivre heureux, vivons caché ». (morale de la fable de Florian : Le grillon).

 

Alors se pose LA question :

 

la finance est-elle un danger pour la démocratie ?

 

Présentation de l'auteur de l'article :

Guy CHEVALIER, 72 ans,

Entré dans la banque en 1973,

ex-directeur départemental de réseau bancaire, en retraite depuis 10 ans.

A débuté en 1971 dans les assurances par la vente en démarchage (porte-à-porte) de plans d'épargne placés en S.I.C.A.V. pour complément de retraite (toujours d'actualité 50 ans après !!)

 

Carrière bancaire dans le réseau dit de « proximité » connu de tout le monde (agences bancaires).

Il n'a pas pratiqué en direct la banque dite « d'affaires » , celle des sièges sociaux et internationale

qui est assez discrète et méconnue et pourtant au pouvoir énorme.

D’où cette recherche et étude qu'il a menée, qui est de pleine actualité !!

 

Un grand merci à Monsieur Guy CHEVALIER

 

Quelques chiffres : 54% des Français voient les marchés financiers comme premiers détenteurs du pouvoir. Selon cette étude de l’Ifop, ils placent le président de la République et les grandes entreprises multinationales en seconde position ex-aequo, la Commission européenne arrive en 4ème position. Enfin, seulement 8% des Français estiment que le pouvoir appartient aux citoyens et aux électeurs.

Face à la défaillance du pouvoir politique, 41% des sondés se déclarent favorables

à l’établissement d’un pouvoir autoritaire.

 

Une citation pour commencer cet exposé :

« Donnez-moi le contrôle sur la monnaie d’une nation et je n’aurais pas à m’occuper de ceux qui font ses lois » (Meyer Anselme ROTHSCHILD, banquier). Dans notre société, la finance occupe aujourd’hui une place voisine du merveilleux. Elle est au centre du débat politique et social, non tant pour favoriser l’émergence des controverses, ce qui paraîtrait de simple logique démocratique, mais pour imposer la RÈGLE, ce qui lui confère une forme quasi divine. On peut même dire que la finance a, peu à peu, occupé l’espace politique. Les débats sur la dette sont à cet égard caractéristiques car si, bien entendu, la question de la dette est sérieuse, le fait de faire de l’équilibre budgétaire un principe intangible, transforme une école de pensée en gardienne des tables de la loi. C’est ce que certains voudraient constitutionaliser en France.

 

Jamais jusqu’alors, une théorie économique n’avait été placée au sommet de la hiérarchie des normes juridiques. Encadrés par des obligations techniques, par des ratios plus ou moins discutables et les débats politiques se réduisent à des choix à la marge ou à ce qu’on appelle curieusement des questions de société, comme si l’essentiel des problèmes sociaux n’en étaient pas !

 

Le néolibéralisme se présente aujourd’hui comme LA vérité et fonctionne comme une religion. Au nom du libéralisme, on peut en effet voir attaquée la liberté. Ce qui est dangereux et critiquable, c’est la substitution de l’expertise au débat politique, au nom d’une vision totalisante de la science économique, c’est la fraude qui consiste à faire passer pour résultats scientifiques ce qui n’est, le plus souvent, qu’une reformulation de vieux arguments idéologiques et métaphysiques. En fait, elle émane d’une caste qui s’exprime avec la poésie d’un fichier Excel et qui veut nous faire croire que le rêve de notre génération serait de rester toujours au-dessous des 3% de déficit budgétaire. D’où une question à se poser : faut-il envisager la criminalisation des entreprises financières souveraines ?

 

En 1840, Alexis de Tocqueville évoquait déjà une telle hypothèse : Je cite : « Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde. Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile l’emploi du libre arbitre » (fin de citation).

 

Il y a donc contradiction à demander le maintien et le développement de liens sociaux à une société dont l’objectif est l’individu isolé. Si l’objectif est le profit personnel, il ne faut pas demander à l’individu de se sentir responsable du corps social. Tout au plus pourra-t-on maintenir la fiction de la solidarité par le développement anarchique des œuvres de bienfaisance, faible substitut à la citoyenneté qui permet en tout cas aux plus favorisés, les super-riches, de se présenter comme les moins égoïstes et, du coup à asseoir leur pouvoir un peu plus.

 

Il faut des garde-fous à ce pouvoir illimité des milliardaires qui se dissimulent derrière le paravent de la générosité. Je pense aux fondations ARNAULT, PINAULT, Bill GATES, WAREN BUFFET. Une précision sur ces fondations : Mark Zuckerberg et sa femme créent une fondation dotée (quelle générosité !) de 99% des actions qu’ils détiennent dans Facebook, Fondation qui bénéficie d’une fiscalité extrêmement avantageuse sans impôt sur les bénéfices ni droits de succession, alors même qu’au final, Mark Zuckerberg contrôle cette organisation ! Ce à quoi il faut ajouter que chaque fois qu’il vend des actions Facebook pour financer sa fondation, ce qu’il prévoit de faire petit à petit, jamais plus d’un milliard de dollars par an, il peut déduire le don de ses revenus imposables. Vous avez dit générosité ? Même topo pour la fondation Bill Gates dont la fortune personnelle est évaluée à quatre-vingt-dix milliards de dollars.

 

On ne peut pas se dire généreux lorsque grâce à « l’évitement fiscal » on donne l’argent des autres, c’est-à-dire l’argent de l’Etat. De plus, l’argent n’est pas donné, il est d’abord investi dans des multinationales. Sa fondation est adossée à un trust. En fait, elle ne dépense que les dividendes de ce trust. C’est un système de « philanthrocapitalisme » A elles seules, les entreprises du groupe LVMH (ARNAULT) ont représenté 8% de la dépense fiscale totale de l’Etat au titre du mécénat des entreprises entre 2007 et 2017. Grâce à la fondation Louis Vuitton, elles ont réduit leurs impôts de 518 millions d’euros en ayant recours au dispositif qui permet de déduire 60% des dons de l’impôt sur les sociétés. A noter que le projet de loi de finance 2020 va réduire la déduction fiscale de 60% à 40% pour les dons supérieurs à 2 millions d’euros. La Cour des comptes estime que « la véritable retombée est l’apport en termes d’image » pour LVMH alors qu’un des principes du mécénat est le désintéressement.

 

La démocratie dans ce contexte ne peut plus être l’expression des citoyens pour un objectif commun. Elle devient la légitimation des expertises, des techniques de gestion et de la bonne évaluation des scénarios économiques. Le citoyen n’a qu’à signer, si possible avec enthousiasme, sauf à être considéré comme un mauvais coucheur, un irresponsable ou, pire, comme un horrible populiste. Combien de fois n’avons-nous pas entendu des responsables politiques de tous bords (Sarkozy, Hollande, Macron, même combat) déclamer des phrases telles que : « l’Histoire nous donnera raison même si les gens aujourd’hui ne nous comprennent pas » ou « Pensez au courage qu’il nous faut pour faire une politique contraire à ce que souhaitent nos électeurs » !

 

On peut voir là un simple cynisme et il y en a bien sûr. Mais au-delà, c’est aussi l’aliénation des responsables qui rejoint celle qu’ils imposent à leurs électeurs. De même l’école laïque, dans sa version sociale libérale, est devenue l’antichambre des « business schools » pour former des employables, justifiant tous les abandons et la paralysie de la réflexion citoyenne : à l’opposé de ce que disait BACHELARD : « Il faut mettre la société au service de l’école et pas l’école au service de la société ». L’obligation de s’adapter s’impose : or si s’adapter, en 1940 c’était collaborer, aujourd’hui s’adapter est une autre forme, plus sibylline, de collaboration avec la « transformation des Lumières en un marché commercial mondialisé » !

 

Faut-il rappeler que la finance, si détestée en 2012 par M. Hollande, n’a pas de patrie et n’a pas de décence, car son unique objectif est le gain. Le capitalisme financier consacre le triomphe du trader sur le producteur à long terme ; du spéculateur sur l’entrepreneur. Je reviendrai sur ce point. A ce stade on peut se demander si la démocratie est définitivement enchaînée face à la finance. On aurait tendance à dire oui. Il faut savoir que 3/4 des 150 compagnies « maîtres du monde » sont des établissements financiers avec comme cœur authentique les havres fiscaux qui se sont développés au milieu des années 1970 avec la venue au pouvoir de Margaret Thatcher au Royaume Uni et de Ronald Reagan aux E.U.

 

Une campagne de dérégulation fut lancée dont l’objectif était la promotion d’une aristocratie issue du milieu des affaires destinée à devenir la détentrice unique et ultime du pouvoir politique en sus du pouvoir économique qu’elle possédait déjà. Parallèlement, en France Georges Pompidou, ancien D.G. de Rothschild, entérinait la loi du 03/01/1973 réformant les statuts de la B.D.F. interdisant, entre autre, de faire crédit à l’Etat au-delà de trois mois, condamnant la France à se tourner vers des banques privées pour emprunter, et à payer des intérêts, alors qu’avant cette loi, l’Etat empruntait sans intérêt. Cette loi a été consolidée en 1992 par le traité de Maastricht qui interdit aux banques centrales de créer de la monnaie en accordant des crédits aux Etats membres de l’Union européenne pour éviter tout risque d’inflation.

 

Cette décision correspond à une privatisation de l’argent et ramenant la Nation au même rang que n’importe lequel de ses citoyens. Les intérêts de la dette dépassent 40 milliards d’euros en 2018 (presque autant que le budget de l’Education nationale) soit 10% des dépenses budgétaires de l’Etat. Aujourd’hui, 50% de la dette (2400 milliards, la plus élevée d’Europe) est composée des intérêts cumulés ! Ce droit de battre la monnaie, droit régalien, a été confisqué par l’Europe par l’article 123 du traité européen qui a mal compris la différence entre libéralisme et abandon de la souveraineté démocratique. C’est la B.C.E. qui prête aux banques, qui prête aux Etats, et ainsi impose aux Etats des contraintes budgétaires mettant en danger la survie des démocraties européennes.

 

 

Si nous avions pu continuer à créer notre monnaie, la dette publique serait quasiment inexistante à ce jour. Mais revenons à notre sujet. Chez nous l’affaire CAHUZAC éclata en 2013 quand il apparut que le ministre français du budget, à la tête d’une croisade contre l’évasion fiscale était lui-même... un évadé fiscal ! oui, c’est vrai, il existe des politiciens ou financiers véreux. Peut-on décréter ainsi que le monde politique ou financier est « pourri » parce que les médias se sont fait l’écho des brebis galeuses ? Si nous partions du principe que chaque être humain peut être capable du meilleur comme du pire, nous éviterions des attentes trop importantes. Les Humains comme tout un chacun ont leur coté « soleil » et leur coté « lune », leur lumière et leurs ténèbres. Pardonnez cette digression et revenons à Jérôme CAHUZAC ou Patrick BALKANY qui sont des « rigolos » à côté de la fraude des multinationales.

 

On en parle de temps à autre, cette délinquance ne gêne personne car personne ne la voit. Les requins de la finance ne pourrissent pas la vie des « honnêtes gens » dans la rue, ils ne sont responsables d’aucune « incivilité », ils ne tuent pas pour s’emparer d’un téléphone portable ou pour une cigarette refusée... Ils font simplement à grande échelle ce que les racailles font dans le style besogneux ; ce sont des industriels de la prédation quand les autres ne sont que de petits artisans. Les voyous à capuche ne s’y trompent pas, ils savent ou sont les caïds.

 

Que dire d’une Europe qui prend le visage de Mr Junker, ancien ministre des finances du Luxembourg pendant 20 ans avant d’être nommé gouverneur de la banque mondiale et aujourd’hui ex-président de la commission européenne, un homme qui, à la tête du gouvernement luxembourgeois a organisé le pillage méthodique de tous les pays européens ? C’est le loup dans la bergerie. Un Junker qui a dit, je cite : « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » Et que dire d’Emmanuel Macron (ex-banque Rothschild) qui a tenu à lui affirmer toute sa confiance. Un Emmanuel Macron qui, avec son franc parlé critiquait son métier de banquier d’affaires comme n’étant pas très intellectuel, le mimétisme du milieu servant de guide. Jeune, intrépide, arrogant, volontaire, séducteur, philosophe, comédien de talent qui aspire à jouer au monarque en herbe dans un élan narcissique !

 

Le mouvement macronien est fait d’une situation de crise, d’un climat de décadence de la classe politique et d’un désir inavouable de revanche des hommes de finances et des affairistes de tout genre. Bref, il n’est pas gênant, bien au contraire qu’un président de la République s’inspire, pour gouverner, de pratiques managériales d’entreprises, souvent plus efficaces que les réflexes politiciens ou les routines administratives. Mais il serait inacceptable qu’il prenne son pays pour une entreprise ou une start-up (comme pourrait lui suggérer Xavier Niel un de ses bailleurs de fonds) qui doit produire de la richesse, ou que notre peuple se prenne lui-même pour un ensemble de salariés, de consommateurs ou d’actionnaires. Ce serait mettre l’économie et la finance plus haut que la liberté et la justice, notamment par une redistribution des richesses, donc trahir l’idée même de République, que la France nous a léguée. Pierre Mendès France nous avait déjà alertés, je cite : « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique. On médit beaucoup des hommes politiques ; je me méfie encore plus des technocrates et des représentants des groupes d’intérêts économiques et financiers » fin de citation. (note de République-Avenir : cette citation de Pierre Mendès-France rappelle avec force et vigueur ce qu' écrivait Etienne de la Boétie dans son ouvrage paru en 1576 : « Discours sur la servitude volontaire ».

 

Cette parenthèse soulève la question des paradis fiscaux et des sociétés offshore (d’actualité avec les scandales des banques H.S.B.C., UBS, Crédit Suisse et Société Générale, Bank and Trust Luxembourg). Ce qui apparaît en pleine lumière, c’est que les havres fiscaux ne constituent nullement un élément périphérique du système financier international mais bien plutôt son cœur véritable, l’ensemble des grandes firmes internationales s’y sont domiciliés dans leur stratégie d’évasion fiscale. Des montages juridiques mis en place avec la complicité de cabinets comptables internationaux, visant à contourner l’esprit du code des impôts ont permis aux plus grosses entreprises de définir leur nationalité selon leur bon plaisir, avec, il faut le dire la complicité de pays qui ont tendance à vendre leur âme pour une petite place au soleil.

L’affaire des « Panamas Papers » publiée par la presse internationale au printemps 2016 révèle au monde entier le nom de milliardaires, de sportifs de haut niveau et de célébrités ayant recouru à des montages offshores pour se dérober au financement collectif de nos écoles, de nos hôpitaux, de nos infrastructures, de notre justice et autres services publics. Ceci avec la complicité de grandes banques. Par exemple, rien qu’au PANAMA, la B.N.P. a administré pas moins de 468 structures offshores. Elle ne dispose plus que de six entités actives, mais est soupçonnée de sous-traiter cet exercice à d’autres compagnies.

 

Ainsi, les banques organisent la création de Sociétés et de comptes bancaires offshores. Ce sont elles qui transportent vers les paradis fiscaux, les valises comptables de grands groupes industriels et de riches particuliers frappés de cupidité. La banque Goldman Sachs vient d’écoper d’une amende record de 40 millions d’euros par l’autorité britannique des marchés financiers pour avoir omis de fournir des déclarations précises sur ses transactions pendant 10 ans ; données permettant de surveiller les abus de marché et de lutter contre la criminalité financière. On parle d’évasion fiscale ou d’optimisation fiscale (c’est pareil !) : cela représente pour la France au moins 80 milliards d’euros par an soit à peu près le montant du déficit public. C’est-à-dire que s’il n’y avait pas d’évasion fiscale, il n’y aurait pas de problème d’équilibre des finances publiques.

 

Cette évasion fiscale profite essentiellement aux citoyens les plus fortunés et aux plus grandes entreprises transnationales, ce qui renforce les inégalités et crée un sentiment d’injustice fiscale pour le contribuable, qui lui, doit pallier le manque à gagner, ce qui est contraire au droit fondamental qui place les citoyens à égalité devant l’impôt. Ce sentiment d’injustice sape l’un des fondements de l’Etat de droit qu’est l’impôt. Pour info, la dette de l’Afrique sud saharienne est de 170 milliards de dollars, les dépôts de leurs dirigeants et élites corrompues dans les banques offshores sont 5 fois plus importants, soit 940 milliards de dollars ! Double bénéfice pour les banquiers de la City qui, via leurs filiales dans les îles « recyclent » ces capitaux en prêtant à des taux usuraires à ces mêmes Etats, ceci en toute impunité ! L’économie « légale » s’est criminalisée, l’économie criminelle s’est donné l’apparence de la légalité, et les paradis bancaires et fiscaux sont au cœur du dispositif où se concoctent ces étranges mutations croisées. Plus de la moitié des flux financiers internationaux transite par des paradis fiscaux !

 

Les faillites d’entreprises (tels que ENRON aux U.S.A.) font apparaitre qu’il existe une pratique répandue du mensonge dans l’information financière et du trucage des comptes. Depuis, une loi empêche les géants de l’audit de conseiller des clients dont ils contrôlent déjà les comptes. Mais une loi du ministre Macron en 2015 va changer la donne : tout en maintenant théoriquement une « muraille de Chine  » entre les deux activités, elle autorise en effet les deux activités, et autorise les professionnels de l’audit à détenir des cabinets d’avocats. Et, l’utilisation des filiales dans les paradis fiscaux (ENRON a eu 880 filiales offshores) cache ces réalités massives. Vous-mêmes qui lisez ces lignes, en quelques minutes vous pouvez ouvrir un compte dans un paradis fiscal sur Internet en tapant « paradisfiscaux.com ».

 

Les entreprises transnationales domiciliées officiellement dans des Nations minuscules privées d’habitants échappent ainsi au contrôle du concert des Nations véritablement peuplées et soucieuses, elles, du bien commun. Vous avez sans doute entendu parler du GAFAM qui est un acronyme désignant quatre géants du numérique : Google, Apple, Facebook, Amazone, auxquels s'est ajouté Microsoft, mais aussi du NATU, acronyme de Neflix, Air B & B., Tesla et Uber. L’une de ces entreprises, la firme APPLE, jouant sur les ambiguïtés des codes des impôts nationaux a même réussi la gageure de n’avoir aucune domiciliation fiscale pour les principales composantes de son conglomérat et d’être ainsi pleinement « déterritorialisée ». Elle est l’une des premières multinationales à avoir mis en œuvre la technique du « double irish avec sandwich hollandais », une combine permettant de réduire l’impôt en faisant transiter les profits via une cascade de holdings dans les filiales irlandaises et hollandaises, avant de les parquer dans les îles de la Caraïbe qui ne taxent pas les bénéfices. Aucun devoir, aucun engagement ne lie plus ces entreprises transnationales à une véritable communauté de citoyens en aucun endroit du globe. Elles dépensent une énergie folle à alléger leur fiscalité. Cependant ça commence à bouger et à réagir !

 

La filiale française d’Apple va régler 500 millions d’euros au fisc français pour un rattrapage fiscal sur 10 ans ; la filiale italienne d’Apple vient de régler 318 millions d’euros au fisc italien pour fraude fiscale pour non-paiement de 900 millions d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés. Apple, société déclarée championne de l’évasion fiscale est soupçonnée de payer tous ses impôts sur le revenu générés en Europe depuis son siège social irlandais de Cork où le taux d’imposition sur les bénéfices est notoirement bas 9% (pour les entreprises numériques) au lieu de 23% pour les entreprises européennes en général. A Cork le campus d’Apple emploie 6.000 salariés et gère la logistique et le service pour 134 pays. Pour rappel la marque à la pomme a réalisé un C.A. d’environ 196 milliards à travers le monde en 2017. Il en est ainsi de Google qui va payer 172 millions d’euros d’arriérés d’impôts au Royaume-Uni après une enquête du fisc britannique sur ses arrangements fiscaux. De même le fisc français réclamait une somme de 1,6 milliard d’euros à Google, et vient de trouver un accord transactionnel à 1 milliard d’euros.

 

Juridiquement, le géant américain est considéré comme étant sans établissement stable dans notre pays. La stratégie fiscale consiste à faire transiter des fonds (royalties) par l’Irlande (dont l’activité des seules multinationales américaines représente 10% du PIB) où le taux d’imposition sur les bénéfices est un des plus faibles d’Europe, puis par les Pays-Bas car la législation fiscale hollandaise, elle, exonère d’impôts les redevances de la propriété intellectuelle. Elle permet à Google, désormais filiale de la holding «ALPHABET», (société parapluie qui a déclaré 94 milliards de C.A. en 2017), d’échapper à l’impôt sur les bénéfices aux Etats-Unis ou aux prélèvements fiscaux en Europe. Tout dernièrement, c’est Ikea qui est dans le collimateur de l’Europe. En cause : son talent en matière de bricolage fiscal. Concrètement, le géant suédois du meuble est accusé d’avoir échappé à un milliard d’euros d’impôts sur la période 2009-2014. Ikea-groupe a notamment fait verser par ses magasins une redevance sur leur chiffre d’affaires à une entreprise dont le siège est aux Pays-Bas, puis les sommes versées auraient transité par le Luxembourg et le Liechtenstein.

 

Sous l’égide de la France, qui va le faire en 2019, soutenu mollement par Berlin, une offensive fiscale contre les GAFA est lancée : il s’agit de taxer les géants du Web, non plus sur le bénéfice comme cela se fait traditionnellement, mais sur le C.A. réalisé dans chaque pays avec une taxation à 3% pour les C.A. supérieurs à 750 millions au niveau mondial et 25 millions d’euros en France. Cette taxe concerne 26 entreprises en France dont 23 étrangères. Ce prélèvement vise les revenus publicitaires de Google et Facebook et les plateformes numériques comme Amazon. Nos start-up seraient épargnées et trois groupes français seraient touchés : Criteo, Meetic et Leboncoin. Il ne reste plus qu’à convaincre les 28 Etats membres... Tâche ardue car en matière de fiscalité, l’unanimité est requise. Sans surprise, l’Irlande, le Luxembourg, la Finlande, la Suède, le Danemark et Malte se sont d’ores et déjà opposés à ces pistes de réformes. Aux Etats-Unis, ça bouge aussi : candidate aux primaires démocrates pour la présidentielle de 2020, Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts, fait du démantèlement des GAFA une proposition phare de son programme. Elle déclare le 8 mars 2019 : « Nous devons empêcher cette génération de grandes entreprises technologiques d’influencer le pouvoir politique pour façonner les règles en leur faveur ; elles ont trop de pouvoir sur notre économie, notre société et notre démocratie »  (fin de citation)

 

A cette fraude fiscale ou optimisation fiscale, il faut évoquer aussi d’autres détrousseurs de finances publiques qui sont les entreprises indélicates fraudant sur la T.V.A., de véritables virtuoses de la finance occulte, qui galopent dans les failles entre police et douanes, pillent la T.V.A. comme d’autres, des coffres forts, et blanchissent les montagnes de profits du trafic de drogue. C’est vertigineux, environ 900 milliards d’euros de T.V.A. et autres taxes font défaut, chaque année, dans les caisses des 28 Etats de l’Union européenne qui va bientôt se doter d’un FBI financier. Ce montant ne tient pas compte des trafics (êtres humains, drogues, armes), de la prostitution, du travail au noir.

 

Au palmarès des Etats floués, l’Italie tient la corde avec 190 milliards non perçus. La Mafia (12% de l’économie italienne), qui ne paye évidemment pas de T.V.A. sur ses activités illégales, y pèse de tout son poids. Deuxième, l’Allemagne, avec 125 milliards. La France est au troisième rang avec 117 milliards manquants dans les finances publiques. L’équivalent de dix fois le déficit de son système de retraite. On estime qu’il existe 3.600 équipes de ces professionnels de la fraude en Europe. Grace à la virtualisation des transactions, le crime organisé opère à une vitesse foudroyante en se jouant des frontières.

 

Quel monde laisserons-nous à nos enfants si les plus riches ne contribuent pas à l’impôt ? Qui acceptera de payer s’ils ne le font pas ? Sûrement pas Carlos Ghosn qui s’est domicilié fiscalement au Pays-Bas en 2012 pour échapper à l’I.S.F, et qui a financé la location du palais de Versailles pour son mariage par le don d’une fondation Renault avec exonération fiscale, bien sûr ! Et si l'impôt ne rentre plus dans les caisses des Etats, quel est l’avenir de la démocratie ? La mondialisation financière que nous venons d’entr'apercevoir a d’ailleurs créé son propre Etat. Un état supranational disposant de ses appareils, de ses réseaux tels que le F.M.I., la Banque Mondiale, l'O.C.D.E., l'O.M.C. Ces quatre institutions parlent d’une seule voix pour exalter les vertus du marché.

 

Cet État mondial est un pouvoir sans société, ce rôle étant tenu par les marchés financiers et les entreprises géantes dont il est le mandataire. La plus grande des géants de la finance mondiale est une entreprise totalement inconnue, sauf par le milieu financier : le fonds d’investissement américain BlackRock, crée en 1999, qui gère 6.000 milliards de dollars d’actifs appartenant à des fonds de pension, des assurances et des petits épargnants, qui représentent à eux seuls 1/3 des actifs gérés. Son président et fondateur Larry Fink est reçu régulièrement par les présidents des grandes nations. Emmanuel Macron l’a reçu plusieurs fois en entretien à Paris à huis clos, sans caméra. BlackRock conseille les gouvernements et les banques centrales et est très lié au monde politique. Son cheval de bataille est la privatisation et l’épargne-retraite privée afin de récolter à terme plus de capitaux à gérer. Sans commentaire !

 

La financiarisation de la sphère économique a fait que nous vivons désormais dans un monde de marchands produisant massivement du confort matériel, des services et des images. Le contexte est celui d’un combat économique qui a transformé la planète en champ de bataille, sans morale ni spiritualité. Si, sur le plan matériel, le libéralisme des temps modernes a apporté la satisfaction des besoins vitaux à des centaines de millions d’individus, il a creusé l’écart dans une société de consommation qui déborde de biens matériels et d’images pour les uns, sans procurer un minimum vital décent pour les autres. Il s’agit dorénavant d’envisager un libéralisme éclairé prenant en considération la notion de solidarité au sein de l’espèce humaine sans oublier la justice. Les Etats responsables de la préparation de l’avenir sont devenus des Etats du palliatif, dispensateurs de protection et de consolation.

 

Le désarmement du pouvoir financier doit devenir un chantier civique si l’on veut éviter que le monde du siècle à venir ne se transforme en une jungle où les prédateurs feront la loi. L’affaiblissement des Etats au profit de multinationales conduit à l’idée que la politique, expression de la volonté des hommes à conduire leur destin, serait devenue impuissante. Les peuples s’en désintéressent, ce dont témoigne l’abstention, premier parti en France, ou la popularité des gilets jaunes. En conséquence, le peuple s’éveille, manifeste et exige désormais une plus grande justice sociale et fiscale.

 

Etant donné que faire confiance n’est plus de mise, de nombreuses catégories sociales s’estiment de plus en plus lésées. Situation intolérable, en référence à la remarque d’un humoriste, qui déclare qu’en réalité « tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que les autres » Ce qui se traduit lors des mouvements populistes récents, par des pancartes d’un unique « indignez-vous », en raison de l’écart des conditions d’existence, qui existe entre les très pauvres et les très riches, en provoquant un rejet global de la politique. « Je crois que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés qu’une armée debout. Celui qui contrôle l’argent de la Nation contrôle la Nation » (Thomas JEFFERSON, 3ième Président des E.U.)

 

Aujourd’hui, le progressisme hérité des Lumières, l’idée que le futur de l’humanité sera nécessairement meilleur que son présent, et qu’il faut s’engager, combattre pour favoriser son avènement, est morte. La démocratie n’est plus considérée comme l’instrument du progrès humain : elle n’est plus que la forme politique du gouvernement technico-économique. Aujourd’hui, la raison des Lumières ne suffit plus ; elle est devenue froide. Le sens proposé par les Lumières, celui du progrès, de l’émancipation de l’homme s’est épuisé de lui-même. L’idée d’un futur hypothétiquement meilleur ne peut plus servir d’horizon. Les loisirs, l’accès aux soins, la « Liberté » se sont démocratisés, mais on ne les ressent plus comme une libération ; la consommation s’est auto-engorgée.

 

Il y a urgence à jeter des grains de sable dans ces mouvements de capitaux dévastateurs, par exemple supprimer les paradis fiscaux, réserver les marchés publics aux entreprises n’ayant pas de filiales dans les paradis fiscaux, interdire aux banques toutes transactions avec les paradis fiscaux, taxations des transactions financières etc… Vaste chantier où tout le monde est d’accord sauf s’il est concerné ! La France s’enorgueillit d’être un pays moteur dans la lutte contre les paradis fiscaux ; en déclaration surtout ! Pour information en 2016 les banques françaises ont réalisé un tiers de leurs profits internationaux soit 5 Mds € dans des pays à fiscalité avantageuse, principalement le Luxembourg, la Belgique puis Hongkong, Singapour, l’Irlande, Monaco, etc…Même hypocrisie quand François HOLLANDE vante les mérites des lanceurs d’alerte le 4 avril 2016, au lendemain des « Panamas papers » après avoir refusé la demande d’asile à Edward Snowden ex-employé de N.S.A à l’origine de l’affaire des écoutes Wikleaks et réfugié actuellement en Russie. N’oublions pas que si le tribunal correctionnel de Paris, en février 2019, a condamné à une amende record de 3,7 milliards d’euros la plus grande banque suisse, UBS, pour blanchiment de fraude fiscale, c’est notamment grâce à l’intervention de Nicolas Forissier,

 

(ex-contrôleur de la banque suisse). UBS, 30ième banque mondiale avait ouvert 20.000 comptes français pour 12 milliards d’avoirs. Alors que la France a « une chance de devenir un des premiers centres financiers en Europe » après le Brexit, ce procès est « observé par le monde de la finance » avait averti le directeur juridique d’UBS. (chantage voilé, car en 2009 aux Etats-Unis et en 2014 en Allemagne, UBS avait négocié des amendes beaucoup moins importantes). Un tel arrangement n’a pas été possible en France. Il est prioritaire de donner un statut juridique aux lanceurs d’alertes pour les protéger.

 

Ce n’est pas évident car les autorités européennes ainsi que le gouvernement français viennent de soutenir une directive sur le secret des affaires qui donnent la priorité aux intérêts des entreprises. Pour être optimiste, à noter le succès de la cellule de régularisation des comptes cachés, installée en 2013 par le gouvernement Ayrault à la suite de l’affaire Cahuzac et fermée fin 2017, qui a rapporté 9,4 milliards d’euros à l’Etat. Cette « cellule de dégrisement fiscal » a traité plus de 47.000 dossiers de contribuables repentis n’ayant pas déclaré des fonds placés dans des pays pratiquant le secret bancaire.

 

Avant d’essayer de faire une synthèse et un début de conclusion, un éclairage sur la finance et la religion, car la finance aime les religions. Standard & Poor’s vient de créer un indice de valeurs catholiques. Un mouvement encore embryonnaire en France qui reste incomparable face au poids de la finance islamique dans le monde. Cet indice sera constitué de valeurs déjà membres S & P 500 (bourse américaine) dont les pratiques respectent les règles de l’investissement socialement responsable édictées par la Conférence des évêques des Etats-Unis. (Justice, respect mutuel, exclusion des recherches sur des cellules souches, vente d’armes, travail des enfants, pornographie). Est-il crédible de voir la finance catho-compatible se développer également en France ? Un fonds a été créé il y a 3 ans par un prêtre -Pascal André Dumont- qui dit : « Il faut simplement dire que lorsque l’on a des moyens financiers, on a la responsabilité de ce que l’on fait avec cet argent car votre placement a un impact. Du coup nous investissons désormais dans des entreprises ou le bien de la personne humaine est au centre du projet économique ».

 

Un bémol : les investissements du Vatican ne sont pas forcément tous très... catholiques ! Hasard ou non, le Pape François a d’ailleurs affirmé sur son compte Twitter le 25 août : « Un chrétien trop attaché à l’argent s’est trompé de route ».

 

La finance catholique ne représente pas grand-chose par rapport au poids de la finance islamique : née à DUBAI en 1975, cette finance impose plusieurs principes très stricts car elle doit obéir aux lois de la charia : interdiction du Ribat (intérêt assimilé à l’usure) ; du Gara et maysir (pas de spéculation, un actif réel doit exister) ; pas de financements illicites (alcool, pornographie, porc principalement) ; principe de la moucharaka (partage des profits et pertes, et investissements dans l’économie réelle). Actuellement, 3.000 Milliards (4.000 Milliards en 2020) avec 40 millions de clients, Banque qui a échappé à la crise. La finance islamique serait-elle une alternative ? Elle est basée sur des règles morales et non juridiques. Les hommes politiques, les responsables économiques, les pouvoirs financiers et monétaires de tous bords s’accordent tous pour une fois à dire qu’il y a nécessité de moraliser les marchés. Or la morale est ce que prêchent les religions. Serait-il alors possible de concilier les deux sphères morales et matérielles ? 

 

Après la finance islamique, la finance franc-maçonne ?

Pour information, en 2011 un fonds commun participatif respectant les principes de la franc-maçonnerie (*) a vu le jour pour soutenir les T.P.E. - P.M.E. créateurs d’entreprises avec des valeurs à appliquées telles que : management participatif, recrutement respectant la diversité, faible turn-over des effectifs, pas de projet spéculatif ou discriminant. Mais cela reste confidentiel...

(*) note de République-Avenir : respect des droits de l'Homme, liberté de conscience, égalité hommes/femmes, démocratie, laïcité, solidarité, progrès social...

 

En conclusion de cet exposé on peut se reposer la question : la finance est-elle toxique et ennemi de la démocratie ? La finance n’est pas une personne, les marchés financiers non plus. Ce sont des outils utilisés par des êtres humains dont les intérêts sont différents l’un de l’autre. Doit-on blâmer le directeur financier d’une P.M.E. qui couvre son risque de change pour maintenir ses marges ? Doit-on condamner le particulier qui a souscrit une assurance vie pour sa retraite et est donc devenu de fait un actionnaire car... beaucoup de primes d’assurance sont investies sur les marchés ?

 

Il faut donc s’attaquer non pas aux outils mais d'abord aux motivations de ceux qui détournent ces outils de leur sens premier. Au XX° siècle, les libéraux expliquaient que nous n’avons pas à choisir entre éthique et économie. Protéger les droits de l’homme et les libertés était à la fois un impératif moral et la clé de la croissance économique. La Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis avaient, disaient-ils, prospéré en libéralisant l’économie. Dans bien des cas, sinon la plupart, c’était l’argument économique, plutôt que moral, qui persuadait les tyrans et les juntes de libéraliser.

 

Au XXI° siècle, le libéralisme aura beaucoup plus de mal à se vendre. Alors que les masses perdent leur importance économique, l’argument moral suffira-t-il à protéger les droits de l’homme et les libertés ? Les élites et les gouvernements continueront-ils à apprécier la valeur de chaque être humain sans que cela ne rapporte le moindre dividende économique ? Il est dangereux de confier notre avenir aux forces du marché, parce que ces forces font ce qui est bon pour le marché et non ce qui est bon pour l’humanité ou pour le monde. La main du marché est aveugle aussi bien qu’invisible ; livrée à elle-même, elle pourrait bien rester passive devant la menace du réchauffement climatique ou les dangers potentiels de l’intelligence artificielle.

 

Le problème fondamental est surtout la spéculation (à l’opposé des opérations réelles économiques) provoqué par l’être humain. Le marché mondial des produits financiers dérivés et instruments financiers plus complexes que les classiques actions ou obligations représente une somme folle soit un montant vertigineux de 595.000 milliards de dollars, 595 suivi de 12 zéros !!! C’est sept fois et demi toutes les richesses produites sur terre en une année. C’est surtout un formidable outil de spéculation, très risqué. En fait, seuls 7% des produits dérivés sont des contrats liant une entreprise non financière à un établissement financier. Le reste n’est que pure activité entre financiers, déconnectée de la sphère économique réelle. La finance a en effet une propension à sans cesse créer de nouveaux produits ou développer ses activités de façon artificielle. Exemple : 5.000 milliards de dollars s’échangent chaque jour sur le marché des changes ; quatre journées devraient suffire à couvrir les besoins de tout le commerce mondial pour une année entière…. Ce développement brutal des transactions immatérielles a engendré un tsunami de flux financiers atteignant en 2017 plus de 30.000 milliards d’euros pour notre seul pays. En prélevant une contribution universelle de 1% de ce trésor numérique l’Etat disposerait de l’équivalent de la totalité de ses recettes fiscales. Seul bémol à cette idée faramineuse : il faut des Etats puissants capables d’imposer cette mesure au monde de la finance. Le bras de fer, si un jour il a lieu, s’annonce rude.

 

De nombreux acteurs jouent un jeu à double face et vivent avec cette ambivalence : la banque détient des emprunts d’Etat (elle n’a donc pas d’intérêt à la faillite de ces Etats) mais dans le même temps, des traders dans la salle de marchés de ces mêmes banques prennent des positions et ont intérêt à la faillite. Pour être clair, la récente affaire des Panama Papers montre encore qu’il existe un conflit d’intérêt entre ceux qui détiennent le pouvoir de changer le système et ceux -parfois les mêmes- qui en profitent. Sur le terrain, le capitalisme réel voit les plus grands noms de la politique internationale (démocrates, républicains, travaillistes, conservateurs, socialistes ou libéraux) siéger dans les conseils d’administration de trusts et hedge funds assimilant l’économie à un portefeuille géant d’actifs. Il faut noter que cette ambivalence joue aussi au niveau individuel, nous sommes tous humanistes et condamnons l’exigence des actionnaires mais nous voulons que nos actions fructifient pour notre patrimoine et notre retraite !

 

Il y a des pistes pour en sortir mais nous n’avons pas le temps ici de les analyser. En tout cas la pire serait celle du repli nationaliste et xénophobe en quête de boucs émissaires. (N’ayons pas la mémoire trop courte). Nos politiques dans leurs discours sont tous d’accord pour de grandes décisions mais la volonté politique n’est pas là. Par exemple, il existe ce qu’on appelle le « verrou de Bercy »  qui nécessite l’autorisation du ministre de l’économie pour poursuivre les gros délinquants fiscaux, entreprises ou particuliers. Les hommes politiques peuvent être sensibles aux pressions des lobbies. Pour éviter ce risque, il faudrait supprimer ce « verrou » et donner à la justice une entière liberté pour poursuivre ces délinquants sans autorisation préalable. Cela pourrait changer avec la loi d’octobre 2018 qui prévoit que tous les dossiers supérieurs à 100.000 € soient transmis à la justice.

 

Le chantier est ouvert, mais la résistance de la finance mondiale est très forte, car la société financière lie tous les besoins et tous les droits au profit marchand. Cette société se fonde d’abord politiquement sur une forme de précarisation des conditions de vie ; une gouvernance insécuritaire remplace l' Etat protecteur. Ainsi la souveraineté des Etats Nations tendant à la démocratie sociale s’efface donc progressivement devant la souveraineté des entreprises mondialistes et toujours délocalisables. Cette société nouvelle est fondée économiquement par une mutation qui voit le néolibéralisme orchestrer le passage de la liberté d’entreprendre des industriels à la capacité de spéculer et de s’enrichir sur les besoins élémentaires de survie et sur l’endettement des pauvres.

 

Elle relativise, finalement, nie ces droits pour les transformer en « libertés d’accès ». Sous son emprise un droit universel et inaliénable, valable pour tous quel que soit le statut social, devient une LIBERTE INDIVIDUELLE CONDITIONNEE par la place acquise dans la hiérarchie sociale, très exactement le niveau du revenu. Toutes les activités humaines, l’instruction, la formation, la sécurité, la défense, la culture, l’information, l’art sont désormais intégrées à la sphère marchande et sont devenus des services.

 

L’État n’est plus le gouvernement d’une communauté mais une entreprise qui vend des services. Selon cette évolution la couverture sociale sera plus le fait de la force financière individuelle, que des droits sociaux fondamentaux. Il s’agit d’un recul historique. Aujourd’hui nous sommes des «numéros», des «marchandises» ou tout simplement, des consommateurs. Les improductifs qui au lieu de rapporter à la société, lui coûtent de l’argent, sont priés de tirer leur révérence. C’est peut-être la force de l’idéologie dominante que d’avoir fait éclater le sens de l’intérêt commun, de la solidarité au profit d’un hédonisme du chacun pour soi, élargi tout au plus au cercle familial et encore ! Quel plus beau slogan pour signifier cet oubli de l’intérêt commun que ce « Travailler plus pour gagner plus » ?

 

Il faut donc se battre pour réaliser une économie sociale, solidaire, indépendante des marchés. C’est un appel au patriotisme social. (Cela mobiliserait peut-être plus les français que les ratios économiques.) Il y a urgence car la finance se déploie à la vitesse des ordinateurs quand la démocratie roule à celle des meetings, votes, débats, campagnes électorales... Si la finance est une gazelle, alors la démocratie est une tortue ! On nous a répété sans arrêt qu’il ne pouvait y avoir de marché sans démocratie et réciproquement, qu’il ne pouvait y avoir de démocratie sans liberté financière. Les faits semblent prouver le contraire.

 

Au terme de cet exposé, je n’ai pas apporté de solutions aux nombreuses interrogations qui le jalonnent. Le débat reste ouvert entre nous et votre éclairage sera le bienvenu. Edgar MORIN a employé une formule: « Remettre l’homme au centre de la politique, en tant que fin et moyen, et promouvoir le bien vivre au lieu du bien-être ». Cette nouvelle politique de civilisation ne pourrait que passer par une reprise du contrôle d’un système économique et financier qui s’impose mondialement broyant les identités, manipulant les cultures et suscitant des réactions confessionnelles et ethniques. Ce n’est pas le chemin qui semble être pris.

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