Biographie simplifiée

 

de Voltaire

 

(21 nov.1694 – 30 mai 1778)

 

 

 

par Alain Mourot

président de République-Avenir

 

 

VOLTAIRE, pseudonyme de François-Marie AROUET, est sans conteste l'un des penseurs les plus puissants, les plus libres, les plus « modernes », les plus féconds de son temps et les plus éclectiques ; il aura aussi été le plus redouté par ses adversaires, nombreux il faut l'admettre, tant il était dérangeant, parce que doté d'une plume qu'il savait tremper dans le vitriol... Rappelons-nous ce mot, à l'encontre d'un éditorialiste, journaliste réputé et écrivain de son temps, membre du « parti des dévots », Jean Fréron, qui possédait, certes, une réelle plume mais n'a pas laissé une grande trace et avait eu le tort -selon Voltaire- d’être irrévérencieux envers celui-ci :

 

L'autre jour, au fond d'un vallon,

Un serpent piqua Jean Fréron ;

Que croyez-vous qu'il arrivât ?

Ce fût le serpent qui creva !

 

Mais au-delà de cette anecdote, ce sont les centres d'intérêt qui toute sa vie ont été le moteur de cette figure emblématique de la «philosophie des Lumières », chef de file du « parti philosophique » (opposé au « parti des dévots » mentionné plus haut), et les combats qu'il a menés, l'opiniâtreté, la volonté, le courage et la force de conviction dont il a su faire preuve qui ont durablement marqué la mémoire collective française et internationale.

 

Il faut reconnaître que cet aspect de l’œuvre de Voltaire marque surtout la deuxième partie de sa vie, voire la fin. La première voit plutôt l'émergence d'un écrivain, auteur à succès, (pièces, contes philosophiques, romans) qui très tôt avait acquis une certitude : s'assumer financièrement par lui-même pourrait seul lui permettre de devenir ce qu'il souhaitait être : un homme libre, affranchi des dogmes, des préjugés, du carcan de la religion ; et au delà de cette liberté « première », ce qui lui apparaîtra comme une nécessité, c'est l'égalité et Voltaire considérera toujours son contraire, l'inégalité, non pas de naissance, mais l'inégalité de droit, comme une injustice.

 

Pourtant, et selon lui, sa vie commence comme une injustice : voyons ce que le site Wikipédia dit à ce sujet :

 

Débuts (1694-1733)

Origines : naissance et paternité incertaines ;

François-Marie Arouet est né officiellement le 21novembre 1694 à Paris et a été baptisé le lendemain à l'église de Saint André des Arcs. Cependant, il a plusieurs fois affirmé qu'il était né en réalité le 20 février 1694 à Châtenay-Malabry. Il a contesté aussi sa paternité, persuadé que son vrai père était un certain Roquebrune : « Je crois aussi certain que d’Alembert est le fils de Fontenelle, comme il est sûr que je le suis de Roquebrune ». Voltaire prétendit que l’honneur de sa mère consistait à avoir préféré un homme d’esprit comme était Roquebrune, « mousquetaire, officier,auteur et homme d'esprit », à son père, le notaire François Arouet dont Roquebrune était le client, car Arouet était, selon Voltaire, un homme très commun. Le baptême à Paris aurait été retardé du fait de la naissance illégitime et du peu d’espoir de survie de l’enfant. Aucune certitude n’existe sinon que l’idée d’une naissance illégitime et d’un lien de sang avec la noblesse d’épée ne déplaisait pas à Voltaire.

 

Pour sa formation, et parce que son père « officiel », François Arouet, avait envisagé pour lui une carrière analogue à la sienne, François-Marie entre à dix ans comme interne au collège Louis-le-Grand chez les Jésuites. C'est probablement le plus cher de la capitale mais aussi l’établissement le mieux fréquenté. Il y reste jusqu’en 1711. Mais si les jésuites y enseignent le latin et la rhétorique, ce qu'ils recherchent avant tout, c'est former des hommes du monde, rompus aux arts de la société : joutes oratoires, plaidoyers, concours de versification, et théâtre ; chaque fin d'année lors la distribution des prix, un spectacle est donné, le plus souvent en latin et le jeune Arouet qui s'y montre très brillant élève devient vite célèbre par sa facilité à versifier : sa toute première publication est son « Ode à Sainte Geneviève ».

Mais surtout Voltaire retiendra deux choses importantes de son passage à Louis-le- Grand : s'adresser d’égal à égal aux fils de puissants personnages, et aussi, à tisser de précieux liens d’amitié, très utiles toute sa vie : notamment avec les frères d’Argenson (René-Louis et Marc-Pierre) futurs ministres de Louis XV et le futur duc de Richelieu.

 

En 1711, au sortir de Louis-le-Grand, Voltaire a 17 ans ; il annonce à son père qu'il ne veut pas être avocat ou titulaire d'une charge au Parlement, mais homme de lettres ; comme son père s'y oppose, il s'inscrit en droit mais surtout, fréquente la société du Temple y côtoyant des membres de la haute noblesse, des poètes et autres lettrés connus pour leur esprit, leur libertinage et leur scepticisme. L'abbé de Chateauneuf, son parrain, qui y avait ses habitudes, l’avait présenté dès 1708. En leur compagnie, il se persuade qu’il est né grand seigneur libertin et n’a rien à voir avec les Arouet et les gens du commun. C'est aussi pour lui une école de poésie ; il va y apprendre à faire des vers, souvent piquants, nourris de références antiques, libres de ton, plaisantant sans retenue sur la religion et la monarchie.

 

Bien entendu, la vie que mène le jeune Arouet déplaît profondément à son père qui, usant de ses connaissances l'éloignera de Paris à plusieurs reprises, et jusqu'en Hollande, d'où il sera chassé pour conduite jugée inconvenante vis-à-vis d'une demoiselle... Son père essaye à nouveau de remettre le « futur » Voltaire sur la voie du droit, envisage même de « l'exiler » en Amérique, mais devant le refus obstiné de celui-ci et se rendant à l'évidence que c'est la voie des lettres qui semble lui être offerte, finira par user de ses connaissances pour lui en faciliter l'accès. Le jeune Arouet ira donc ainsi, de demeures en châteaux, parmi la haute noblesse perfectionnant son art des vers, approfondissant sa connaissance de la poésie et aussi, celle qui lui sera très utile par la suite, celle de l'homme et de la société...Mais, chassez le naturel, il revient au galop ! Il ne peut s’empêcher de décocher (en vers) des flèches contre tel ou tel, ce qui lui vaudra plusieurs condamnations à l'éloignementet même, sur lettre de cachet en mai 1717, à être envoyé à la Bastille. Il y restera onze mois... et mettra à profit ce temps à réfléchir à la tournure de la carrière qu'il entend entreprendre : devenir célèbre dans les genres les plus nobles de la littérature de son époque : la tragédie et la poésie épique...

 

C'est sous le pseudonyme de « Voltaire » qu'il écrira désormais. Sa première pièce, une tragédie, « Œdipe » donnée en novembre 1717 -il a 24 ans- est un immense succès. Mais un autre épisode, a priori anodin, va donner une toute autre orientation à la carrière de Voltaire : voyons ce que le site Wikipédia dit à ce sujet :

 

En janvier 1726, il subit une humiliation qui va le marquer toute sa vie. Le chevalier de Guy-Auguste de Rohan-Chabot, jeune gentilhomme arrogant, appartenant à l'une des plus illustres familles du royaume, l’apostrophe à la Comédie-Française : « Monsieur de Voltaire, Monsieur Arouet, comment vous appelez-vous ? » Voltaire réplique alors : « Voltaire ! Je commence mon nom et vous finissez le vôtre ». Quelques jours plus tard, on le fait appeler alors qu’il dîne chez son ami le duc de Sully. Dans la rue, il est frappé à coups de gourdin par les laquais du chevalier, qui surveille l’opération de son carrosse. Blessé et humilié, Voltaire veut obtenir réparation, mais aucun de ses amis aristocrates ne prend son parti. Le duc de Sully refuse ainsi de l’accompagner chez le commissaire de police pour appuyer sa plainte. Il n’est pas question d’inquiéter un Rohan pour avoir fait rouer de coups un écrivain : « Nous serions bien malheureux si les poètes n’avaient pas d’épaules », dit un parent de Caumartin. Le prince de Conti écrit sur l'incident que les coups de bâtons « ont été bien reçus mais mal donnés ». Voltaire veut venger son honneur par les armes, mais son ardeur à vouloir se faire justice lui-même indispose tout le monde. Les Rohan obtiennent que l’on procède à l’arrestation de Voltaire, qui est conduit à la Bastille le 17 avril. Il n’est libéré, deux semaines plus tard, qu’à la condition qu’il s’exile.

 

Voltaire s'exile donc ; en Angleterre. Il s'installe à Londres en novembre 1726 et y découvre un régime totalement différent de celui qui a cours en France ; aux lettres de cachet en usage alors, s'oppose l’Habeas Corpus, loi anglaise garantissant le principe de liberté individuelle (en vigueur depuis 1679) en application de laquelle nul ne peut demeurer détenu, sauf par décision d’un juge, et la Déclaration des Droits (1689) protégeant les citoyens anglais contre l'arbitraire du roi. Il est vrai que les anglais avaient sur la France quelque avance, ayant fait leur révolution et ayant coupé la tête de leur roi près d'un siècle et demi avant nous !!!

 

Ce séjour est pour lui un formidable déclic. Il ne peut que constater les grandes différences entre les deux pays, au désavantage de la France et admire l'avance de de l'Angleterre sur le plan économique et au niveau des institutions ; il en déduit que l’aspiration du peuple à plus de liberté et de tolérance est lié à l’intensité des échanges marchands et intellectuels.

 

Durant son séjour qui durera un peu plus de deux ans, il acquerra très vite une parfaite maîtrise de la langue de Shakespeare, et rencontrera de nombreux savants : mathématiciens, physiciens, s'initiant ainsi à des sciences qui lui étaient jusqu'alors étrangères. Mais aussi, il découvre les écrits et la pensée de John Locke, et les travaux d'Isaac Newton dont il n'aura de cesse à l'avenir, de faire connaître la puissance de l’œuvre.

 

Lors des obsèques de ce dernier auxquelles il assiste à l'abbaye de Westminster, haut-lieu de la religion en Angleterre, et où sont inhumés les monarques anglais, il se fait la réflexion qu'en France, inhumer Descartes à Saint Denis aurait été chose impossible...

 

Ainsi s'amorce chez Voltaire une mutation profonde : d'homme de lettres, il s'oriente vers une philosophie « concrète ». C'est en Angleterre, et en anglais qu’il commence à rédiger ses remarques sur ce pays, et fera éditer à Londres en 1733 sous le titre « Letters concerning the english Nation » ce qui allait devenir un extraordinaire succès : « Lettres Philosophiques ».

 

Si à l'automne 1728 -près de trois ans après l'incident qui l'avait contraint à s'exiler en Angleterre- Voltaire est autorisé à rentrer en France, méfiant, il n'ira pas plus loin que Dieppe, continuant même à se faire passer pour un anglais afin de ne pas éveiller l'attention des services de police du Roi, et ne rejoindra Paris qu'au printemps 1729 !

Aimant son confort, les plaisirs de la table et de la conversation, il n'aura de cesse de de vouloir assurer son aisance matérielle qui seule, selon lui, peut lui garantir liberté et indépendance. « J’ai vu tant de gens de lettres pauvres et méprisés que j’ai conclu dès longtemps que je ne devais pas en augmenter le nombre. ». Il se lance donc -avec réussite- dans des opérations spéculatives qui, avec la vente de ses ouvrages, lui apporteront une fortune considérable.

 

Les débuts d'un posture anticléricale ?

En 1730, un drame personnel le bouleverse ; et sa suite le scandalise. Il est auprès d'elle lorsque meurt Adrienne Lecouvreur, actrice qui a joué dans ses pièces et a été un temps sa maîtresse. Le prêtre appelé refuse la sépulture au motif qu'elle est comédienne : la France est le seul pays catholique où les comédiens sont frappés d'excommunication ! Elle sera jetée dans un terrain vague, hors de la ville, sans monument pour marquer sa tombe...

 

Quelques mois plus tard, une autre comédienne, anglaise celle-ci, Mrs Oldfield décède à son tour et sera enterrée à…Westminster Abbey ! Voltaire se souviendra toute sa vie de la différence de pratiques entre ces deux pays...

 

Une femme d'exception dans la vie de Voltaire …

En 1732, Voltaire renoue avec le théâtre, et surtout, avec le succès : sa pièce « Zaïre » est un triomphe, comparable à celui qu'il avait obtenu avec « Œdipe », quinze ans plus tôt ; il renoue aussi avec le succès avec la publication -à son insu- des « Lettres Philosophiques » qui, louant la liberté et la tolérance en Angleterre sont perçues comme un pamphlet contre la royauté française et la religion. Le Parlement condamne le livre à être brûlé et une lettre de cachet est lancée à l'encontre de Voltaire qui s'enfuit à Cirey, en Champagne où Émilie du Châtelet (1706-1749), fille de l'un de ses anciens protecteurs, possède un château.

 

Un an plus tard, Voltaire souhaitant faire « retomber la pression » dit vouloir « proteste(r) de sa soumission entière à la religion de ses pères » et est ainsi autorisé à revenir à Paris ; mais la lettre de cachet ne sera pas révoquée. Prudent, il préfère rester à Cirey et y demeurera quinze ans. Mme du Châtelet devient sa maîtresse, mais surtout, elle sera pour Voltaire celle qui le fera se passionner pour les sciences. En effet, elle est -fait rare à l'époque pour une femme- fort experte en physique et mathématiques.

 

En outre, elle est femme du monde, libre, elle a une vie trépidante, et eu plusieurs amants, aime la vie mondaine, le jeu (elle perdra beaucoup d'argent !), et surtout, recherche un homme « brillant » et à sa mesure pour mettre en avant sa réussite intellectuelle ; Voltaire sera cet homme : brillant écrivain, ayant désormais une réputation dans tout ce que l'Europe connaît de gens lettrés, il est comme elle, avide de réussite.

 

Elle jouera un rôle capital dans l'inflexion que Voltaire va donner à sa vie, à son œuvre et à son engagement « social » à ce moment de sa vie. Elle canalise son côté impétueux, lui inculque des notions de diplomatie, et surtout, lui fait opérer une métamorphose : d'homme de lettres qu'il est avant tout, elle le transforme en philosophe : « j'apprends d'elle à penser » dira-t-il. Leurs journées sont studieuses : aux discussions, lectures, travaux en commun, s'ajoutent des travaux personnels portant sur la science et la religion. Voltaire fait des expériences scientifiques dans le laboratoire d’Émilie pour le concours de l'Académie des Sciences, et avec l'aide de son amie, sera l'un des premiers à vulgariser en France les idées de Newton sur la gravitation universelle, publiant « Épître sur Newton » (1736) et « Éléments de la philosophie de Newton ». (1738).

 

Il connaîtront dix ans de bonheur et de vie commune...avant que la passion ne retombe. Mais ils resteront amis : Émilie du Châtelet se tournera vers d'autres amants ; Voltaire continuera son œuvre. Mais beau joueur, sa fortune aura permis durant ses années de restaurer le château de Madame... Toutefois, durant ces dix premières années passées à Cirey, Voltaire va en fait jouer un double jeu : pour éviter la Bastille, (la lettre de cachet contre lui suite à la parution « intempestive des « Lettres Philosophiques » n'ayant pas été levée), il lui faut tromper la vigilance de ses adversaires ; d'autre part, il lui faut également continuer à gagner les hésitants à ses idées par son œuvre philosophique et littéraire.

 

Tous les moyens sont bons pour atteindre ce double but : publications clandestines (mais désavouées !), manuscrits (dont on fait savoir qu’il s’agit de fantaisies privées non destinées à la publication) qu’on lit aux amis et visiteurs qui en répandent les passages les plus féroces (exemple La Pucelle qui ridiculise Jeanne d'Arc) ; il prépare aussi « Essai sur les mœurs, histoire générale de l’Occident chrétien » où il dénombre les horreurs engendrées par le fanatisme. Son engagement est inséparable d’un combat antireligieux. L’intolérance religieuse, qu’il rend responsable de retard en matière de civilisation, est pour lui l’un des archaïsmes dont il voudrait purger la France. Sa pièce « Mahomet », jouée à Paris en 1742 est très applaudie ; mais les jansénistes obtiennent son retrait accusant Voltaire de vouloir, à travers l'Islam, taxer d’imposture le christianisme lui-même. Voltaire apparaît de plus en plus comme un adversaire de la religion, et les choses vont (re)commencer à se gâter pour lui...

 

Autre rencontre très importante dans la vie du philosophe engagé...

Au cours de l'année 1736, Voltaire reçoit la première lettre de celui qui deviendra roi de Prusse sous le nom de Frédéric II ; commence ainsi une correspondance qui durera jusqu’à la mort de Voltaire, en 1778, seulement interrompue entre 1754 et 1757. « Continuez, Monsieur, à éclairer le monde. Le flambeau de la vérité ne pouvait être confié à de meilleures mains », lui écrit celui qui veut l’attacher à sa cour par tous les moyens. Voltaire lui rendra plusieurs fois visite, mais refusera de s’installer à Berlin du vivant de Mme du Châtelet qui se méfie du roi-philosophe. Pour cette raison peut-être, Madame du Châtelet pousse Voltaire à chercher un retour en grâce auprès de Louis XV.

 

De son côté, Voltaire ne conçoit d’avenir pour ses idées sans l’accord du roi. Le hasard, ou la chance (?) font bien les choses... En 1744, le nouveau ministre des Affaires étrangères est son ancien condisciple de Louis-le-Grand : d'Argenson, et surtout il a le soutien d'une admiratrice : Mme de Pompadour, nouvelle maîtresse du roi. L'amitié qui le lie au roi de Prusse est un atout. Il rêve d'être l'artisan d’une alliance entre les deux rois et accepte une mission diplomatique, qui échouera....

Mais grâce à ses appuis, il obtient la place d’historiographe de France, le titre de « gentilhomme ordinaire de la chambre du roi » et les entrées de sa chambre. Il compose alors un poème lyrique, « La Bataille de Fontenoy » et un opéra, avec Rameau à la gloire du roi. Mais Louis XV ne l’aime pas et Voltaire sait qu'il ne sera jamais un courtisan....

 

En septembre 1749, Mme du Châtelet, avec laquelle il avait cru faire sa vie jusqu’à la fin de ses jours malgré leurs querelles et infidélités réciproques, enceinte d'un nouvel amant meurt dans les jours qui suivent son accouchement. Voltaire est désemparé ; il a 55 ans ; une dépression (« la seule vraie souffrance de ma vie », dira-t-il), l’hostilité de Louis XV et l’échec de sa tragédie « Oreste » le poussent à accepter les invitations réitérées de Frédéric II …

 

« Je redouble d’envie de vous revoir, c’est-à-dire de parler de littérature, et de m’instruire de choses que vous seul pouvez m’apprendre » écrira Frédéric II à Voltaire dans une lettre du 20 janvier 1750. Il part pour Berlin en juin 1750 et y arrivera fin juillet. Il est ravi et logé dans le un appartement du maréchal de Saxe où il travaille deux heures par jour avec le roi l'aidant à rédiger ses œuvres. Le soir, ce sont soupers délicieux, discussions savantes et raffinées avec la petite cour où il retrouvent les plus beaux esprits : outre Voltaire, de Maupertuis, mathématicien, physicien, médecin, astronome et philosophe, président de l'Académie des sciences de Berlin, d'Argens, écrivain, philosophe et intime de Frédéric II, La Mettrie, médecin, physicien et philosophe, entourent le roi. «Le roi avait de l’esprit et en faisait avoir », dit Voltaire. Il va passer plus de deux ans et demi en Prusse ; il met ce temps à profit pour terminer « Le Siècle de Louis XIV » et « Micromégas ». Mais hélas ! après l’euphorie des débuts, ses relations avec Frédéric II se détériorent, les brouilles se font plus fréquentes, et un incident va provoquer la rupture. Voltaire écrit un pamphlet contre de Maupertuis, (intime de Frédéric II, rappelons-le) qui avait commis, (en tant que président de l’Académie des sciences), un abus de pouvoir contre l’ancien précepteur de Mme du Châtelet.

 

Le pamphlet, « La Diatribe du docteur Akakia », est imprimé par Voltaire, sans l’accord du roi mais en utilisant une permission accordée pour un autre ouvrage ! Se sentant berné, furieux que l’on attaque son Académie, Frédéric fait saisir les exemplaires qui sont brûlés sur la place publique par le bourreau. Voltaire demande son congé, quitte la Prusse fin mars 1753 faisant divers arrêts prolongés dans différentes villes et finalement, après plusieurs semaines de tracasseries aussi absurdes qu'ubuesques que lui fera Frédéric II, Voltaire, en compagnie de Mme Denis venue le rejoindre, finira par rentrer en France.

 

Il fait une longue halte à Colmar où interdiction lui est signifiée d'approcher de la capitale. Voltaire a bientôt soixante ans et il est à la recherche d'un lieu sûr, hors de portée de la police royale, mais pas trop éloigné de Paris ; il se dirige alors vers Genève, pensant trouver dans cette ville calviniste où il compte bon nombre de partisans, paix, calme et liberté, y achète une maison et en loue une autre dans la canton de Vaud : puis, enfin ! ce sera Ferney, en France, mais à deux lieues de Genève, où il passera les vingt dernières années de sa vie, en compagnie de Mme Denis.

 

Voyons ce que dit le site « Pays de Voltaire » :

 

En 1758 lorsque Voltaire, âgé de 64 ans, acquit la seigneurie de Ferney, il déclara avoir trouvé un « hameau misérable » où il fit construire, suivant de près le chantier, la demeure de ses dernières années. Pendant près de vingt ans, Voltaire y reçut de nombreuses personnalités. Alors qu'il se déclarait "aubergiste de l'Europe", Ferney devenait le passage obligé d'une élite qui affluait de l'Europe entière. L'État a acquis en 1999 le château de Ferney, ce lieu de mémoire où Voltaire a tant écrit pour la défense des droits de l'homme.

 

« Je ne connais d'autre liberté que celle de ne dépendre de personne ; c'est celle où je suis parvenu après l'avoir cherchée toute ma vie » dira-t-il, et ajoutera, à l’adresse de son banquier : « Je suis né assez pauvre, j’ai fait toute ma vie un métier de gueux, de barbouilleur de papier, celui de Jean-Jacques Rousseau, (ne manquant jamais de décocher une flèche !) et cependant me voilà avec deux châteaux, 70 000 livres de rente et 200 000 livres d’argent comptant ».

 

Cette aisance lui permettra de reconstruire le château, d’y aménager un théâtre, d’en embellir les abords ; l'animation qui se crée avec la venue de Voltaire à Ferney fera de ce « hameau misérable » une petite ville prospère, ce que nous verrons à la fin de cet article.

 

Ferney est la période la plus active de sa vie ; il va y résider près de vingt ans jusqu’à son retour à Paris. C’est à Ferney qu’il va acquérir une nouvelle dimension, celle qui a le plus marqué de son empreinte la société contemporaine : celle d’un champion de la justice et de l’humanité ; c'est depuis Ferney qu'il va livrer ses plus grandes batailles avec une fougue insoupçonnée ; à partir de 64 ans, un âge de vieillard au XVIIIème siècle, et jusqu'à sa mort !

 

Comme à l'accoutumée, Voltaire travaille beaucoup : théâtre, préparation de « Candide », (qui sera réédité 20 fois du vivant de son auteur!), écrit les sept volumes de l' « Essai sur les mœurs et l'esprit des Nations » tiré à 7000 exemplaires, « Poème sur le désastre de Lisbonne » révision des dix premiers volumes de ses « Œuvres complètes » chez son nouvel éditeur qui a un réseau de correspondants européens permettant de diffuser les livres interdits.

 

Il collabore également étroitement à l' « Encyclopédie de Diderot et d'Alembert et y signe une trentaine d’articles. Ce grand dictionnaire auquel ont collaboré 125 auteurs recensés est vendu dans toute l’Europe défend aussi la liberté de penser et d’écrire, la séparation des pouvoirs et attaque aussi la monarchie de droit divin. Mais la souscription coûte une fortune et Voltaire sera en désaccord sur la tactique : (« Je voudrais bien savoir quel mal peut faire un livre qui coûte cent écus. Jamais vingt volumes in-folio ne feront de révolution ; ce sont les petits livres portatifs à trente sous qui sont à craindre », ajoutant même, malicieux : « Si l’Évangile avait coûté douze cents sesterces, jamais la religion chrétienne ne se serait établie. ». Décidément, même en matière de « marketing », Voltaire était visionnaire !

 

Il voudrait imposer sa marque, faire de l’Encyclopédie l’organe du combat antichrétien, l’imprimer hors de France, mais, s’il possède en d’Alembert un allié de poids, il ne peut gagner Diderot à ses vues.

 

L'occasion sera bientôt donnée à Voltaire de déployer son talent de défenseur du droit...

Trois « affaires », en trois ans, trois procès iniques, qui bouleversent les esprits arrivent aux oreilles de Voltaire : l'affaire Calas, qui sera pour Voltaire l'occasion d'écrire l'un de ses plus beaux textes : « Traité sur la Tolérance » l'affaire du ; puis, en droit fil, l'affaire Sirven ; et enfin, dépassant les deux précédentes en horreur et en ignominie, l'affaire du Chevalier de la Barre.

Pour en parler, écoutons un autre très grand défenseur des droits, aux accents lyriques, à la puissance évocatrice sans égale et que nous aurons l’occasion (et le plaisir de retrouver sur ce site) : Victor Hugo qui, le 30 Mai 1878 à l'occasion du centenaire de la mort de Voltaire, prononça au Théâtre de la Gaîté à Paris, un discours où il est question de deux de ces trois « affaires ».

 

« …/… Avant la Révolution, messieurs, la construction sociale était ceci : en bas le peuple ; au-dessus du peuple, la religion représentée par le clergé; A côté de la religion, la justice représentée par la magistrature. Et, à ce moment de la société humaine, qu’ était-ce que le peuple? C’était l’ignorance. Qu’était-ce que

la religion? C’était l’intolérance. Et qu’était-ce que la justice? C'était l’injustice. Vais-je trop loin dans mes paroles? Jugez-en. Je me bornerai à citer deux faits, mais décisifs.

 

A Toulouse, le 13 octobre 1764, on trouve dans la salle basse d’une maison un jeune homme pendu. La foule s’ameute, le clergé fulmine, la magistrature informe. C’est un suicide, on en fait un assassinat. Dans quel intérêt ? Dans l’intérêt de la religion. Et qui accuse-t-on ? Le père. C’est un huguenot, et il a voulu empêcher son fils de se faire catholique. Il y a monstruosité morale et impossibilité matérielle; n’importe! ce père a tué son fils! ce vieillard a pendu ce jeune homme. La justice travaille, et voici le dénouement.

 

Le 9 mars 1762, un homme en cheveux blancs, Jean Calas, est amené sur une place publique, on le met nu, on l’étend sur une roue, les membres liés en porte-à-faux, la tête pendante. Trois hommes sont là, sur l’échafaud, un capitoul, nommé David, chargé de soigner le supplice, un prêtre, qui tient un crucifix, et le bourreau, une barre de fer à la main. Le patient, stupéfait et terrible, ne regarde pas le prêtre et regarde le bourreau. Le bourreau lève la barre de fer et lui brise un bras. Le patient hurle et s’évanouit. Le capitoul s’empresse, on fait respirer des sels au condamné, il revient à la vie; alors nouveau coup de barre, nouveau hurlement; Calas perd connaissance; on le ranime, et le bourreau recommence ; et comme chaque membre, devant être rompu en deux endroits, reçoit deux coups, cela fait huit supplices. Après le huitième évanouissement, le prêtre lui offre le crucifix à baiser, Calas détourne la tête, et le bourreau lui donne le coup de grâce, c’est-à-dire lui écrase la poitrine avec le gros bout de la barre de fer. Ainsi expira Jean Calas. Cela dura deux heures. Après sa mort, l’évidence du suicide apparut. Mais un assassinat avait été commis. Par qui ? Par les juges.

 

Autre fait. Après le vieillard, le jeune homme. Trois ans plus tard, en 1765, à Abbeville, le lendemain d’une nuit d’orage et de grand vent, on ramasse à terre sur le pavé d’un pont un vieux crucifix de bois vermoulu qui depuis trois siècles était scellé au parapet. Qui a jeté bas ce crucifix ? Qui a commis ce sacrilège? On ne sait. Peut-être un passant. Peut-être le vent. Qui est le coupable? L’évêque d’Amiens lance un monitoire. Voici ce que c’est qu’un monitoire: c’est un ordre à tous les fidèles, sous peine de l’enfer, de dire ce qu’ils savent ou croient savoir de tel ou tel fait ; injonction meurtrière du fanatisme à l’ignorance.

 

Le monitoire de l’évêque d’Amiens opère; le grossissement des commérages prend les proportions de la dénonciation. La justice découvre, ou croit découvrir, que, dans la nuit où le crucifix a été jeté à terre, deux hommes deux officiers, nommés l’un La Barre, l’autre d’Étallonde, ont passé sur le pont d’Abbeville, qu’ils étaient ivres, et qu’ils ont chanté une chanson de corps de garde. Le tribunal, c’est la sénéchaussée d’Abbeville. Les sénéchaux d’Abbeville valent les capitouls de Toulouse. Ils ne sont pas moins justes. On décerne deux mandats d’arrêt. D’Étallonde s’échappe, La Barre est pris. On le livre à l’instruction judiciaire. Il nie avoir passé sur le pont, il avoue avoir chanté la chanson. La sénéchaussée d’Abbeville le condamne; il fait appel au parlement de Paris. On l’amène à Paris, la sentence est trouvée bonne et confirmée. On le ramène à Abbeville, enchaîné. J’abrège. L’heure monstrueuse arrive. On commence par soumettre le chevalier de La Barre à la question ordinaire et extraordinaire pour lui faire avouer ses complices; complices de quoi? d’être passé sur un pont et d’avoir chanté une chanson; on lui brise un genou dans la torture; son confesseur, en entendant craquer les os, s’évanouit; le lendemain, le 5 juin 1766, on traîne La Barre dans la grande place d’Abbeville; là flambe un bûcher ardent; on lit sa sentence à La Barre, puis on lui coupe le poing, puis on lui arrache la langue avec une tenaille de fer, puis, par grâce, on lui tranche la tête, et on le jette dans le bûcher. Ainsi mourut le chevalier de La Barre. Il avait dix-neuf ans. Alors, ô Voltaire, tu poussas un cri d’horreur, et ce sera ta gloire éternelle! Alors tu commenças l’épouvantable procès du passé, tu plaidas contre les tyrans & les monstres la cause du genre humain, et tu la gagnas../.. »

 

A la même époque que l'affaire Calas, un autre protestant nommé Sirven est condamné par contumace, le 20 mars 1764 à être pendu, avec sa femme, pour le meurtre de leur fille que l’on savait folle et qu’on trouva noyée dans un puits. On accusait son père et sa mère de l’avoir assassinée pour l’empêcher de se convertir. Les deux parents vont solliciter Voltaire qui accueillera la famille à Ferney ; il prendra l'affaire en main et obtiendra leur acquittement après un long procès, réussissant même à faire réhabiliter Sirven.

 

Depuis qu'il est à Ferney Voltaire veut et va s’affirmer comme le porte-parole, le plus représentatif de la pensée philosophique des « Lumières ». A noter que cette philosophie est portée par bon nombre d'autres penseurs, écrivains, éditorialistes, mais ces derniers (pour la plupart, « parisiens ») sont dispersés, constamment engagés entre eux en d’âpres -et vaines- discussions. L'éloignement de Voltaire est donc propice à la réflexion, au travail ; un travail « titanesque » ; c'est un besoin chez lui : « J’écris pour agir » affirme-t-il. Il a une obsession : amener ses lecteurs à faire leur la cause des Lumières.

 

Visionnaire, il opte pour la publication d'œuvres « utiles et courtes »., dira-t-il, et en cela il s'oppose à Diderot sur l'Encyclopédie dont les gros volumes sont aisément bloqués chez l’éditeur. Il préfère, au contraire, les publications de quelques pages plus aisées à cacher, qui échappent à la surveillance de la police et se vendent à bas prix, comme indiqué plus haut. Toutefois, à Paris, il sait pouvoir compter sur des fidèles : d'Alembert, futur secrétaire de l'Académie française dont les relations -mondaines et littéraires- sont de sérieux atouts, et qui en outre, n’hésite jamais à le mettre en garde contre ses excès. Il peut aussi pouvoir utilement compter sur des gens de lettres en vue, mais aussi des « politiques » : Choiseul, Richelieu auxquels il plaît. En fait, Voltaire était incroyablement populaire et très apprécié ; sauf par Louis XV et donc... la police, les juges... et... l’Église...

 

Mais en France, chez le roi, à la cour, dans les milieux de la haute noblesse, dans celui du clergé, dans le milieu de la presse -étroitement contrôlée par la police royale-, dans le milieu de la justice, très soucieuse de ne pas déplaire au roi, et d'une manière générale, dans tous les milieux ayant à craindre de la remise en cause des privilèges, de l'ordre établi, l'opposition à Voltaire fait rage.

 

Cette opposition à cet « empêcheur de tourner en rond » ne rend-t-elle pas plus pertinente la citation d'un auteur normand reconnu : Flaubert : « On peut calculer la valeur d'un homme d'après le nombre de ses ennemis et l'importance d'une œuvre d'après le mal qu'on en dit. Les critiques sont comme les puces, qui vont toujours sauter sur le linge blanc et adorent la dentelle ».

 

Le pouvoir et les milieux conservateurs ont lancé une campagne contre les idées nouvelles, contre les « philosophes » en général, attaques auxquelles se mêle le journaliste dont il a été fait mention dans la première partie de cet article : Fréron ; mais d'une manière générale, il n'aimait guère les journalistes qui lui inspirent, dans « Candide », cette phrase cinglante qui pourrait de nos jours parfaitement s'appliquer à une certaine presse : « Ces messieurs les folliculaires ressemblent assez aux chiffonniers qui vont ramassant des ordures pour faire du papier ».

 

Comme il est écrit précédemment, les vingt années qu'il passera à Ferney auront été les vingt années les plus productives de Voltaire, sur un plan philosophique, sur celui de l'engagement « politique » et « citoyen » dirait-on de nos jours -pas sûr que cette remarque aurait plu au grand homme- mais aussi sur le plan relationnel : Ferney se trouve au carrefour de toutes les routes venant de l’Europe du Nord et allant vers l’Italie, Venise... Or, toute l’aristocratie européenne au XVIIIe siècle voyage beaucoup, et de nombreux visiteurs lettrés, éclairés, amoureux des sciences, désirent le voir et l’entendre, en particulier, les britanniques qui savent que le philosophe aime l’Angleterre, et bien sûr, de nombreux français, mais aussi des Allemands, des Italiens, des Russes. Il tiendra constamment table et porte ouvertes, « Je suis l'aubergiste de l'Europe », dira-t-il, avec une pointe de fierté.

 

Je voudrais maintenant « tordre le cou » à une réputation qui a été faite à Voltaire : celle d'être pingre ! Il investit énormément à Ferney (ces droits d'auteur le lui permettant) ; il restaure le château, certes, pour son confort, mais aussi celui de ses hôtes ; et il ne va pas s'arrêter en si bon chemin : très rapidement, il fait drainer les marécages et planter des arbres ; il achète une nouveauté dont il est fier, la charrue à semoir ce qui améliore la production agricole et donne l’exemple en labourant lui-même chaque année un de ses champs. Il fait construire des maisons pour accueillir de nouveaux habitants, -il a, notamment hébergé pendant près de deux ans la famille Sirven dont le père, condamné à mort par contumace avait dû fuir-, il développe des activités économiques, soieries, horlogerie surtout. Les importantes sommes investies sortent Ferney de la misère qu'il avait constatée à son arrivée :« Un repaire de 40 sauvages est devenu une petite ville opulente habitée par 1.200 personnes utiles », peut-il écrire en 1777. (voir site de l'Office de tourisme de Ferney-Voltaire).

 

Les cinq dernières années du philosophe (et philanthrope) seront extrêmement pénibles. Depuis février 1773, Voltaire souffre terriblement ; à la lecture du rapport de l’autopsie pratiquée le lendemain de son décès il a pu être établi qu'il souffrait d'un cancer de la prostate aggravé d'une d'hydropisie. Le 8 mai, il informe son ami d'Alembert : « Je vois la mort au bout de mon nez ». A l'été 1773, ses forces reviennent, mais la crise aiguë de rétention d'urines de février 1773, le reprend en mars 1774. Sa maladie ne le quittera qu'à sa mort...

Les derniers moments...

Louis XV étant mort en 1774, les nouvelles autorités font entendre à ses amis qu’elles ne verraient aucune objection à ce qu'il se rende aux répétitions d'Irène, sa dernière tragédie. Après maintes hésitations, il se décide en février 1778 à regagner Paris à l’occasion de la création de la pièce à la Comédie Française ; il s’installe dans un bel appartement de l'Hôtel du marquis de Villette à l'angle de la rue de Beaune et du quai des Théatins (aujourd’hui quai Voltaire). Dès le lendemain de son arrivée, Voltaire a la surprise de voir des dizaines de visiteurs envahir la demeure du marquis qui va devenir pendant tout son séjour le lieu de rendez-vous du Tout-Paris « philosophe ».

 

Un jour mémorable pour le vieil homme : que dit le site Wikipédia :

Le 30 mars 1778 est le jour de son triomphe à l’Académie, à la Comédie-Française et dans les rues de Paris. Sur son parcours, une foule énorme l’entoure et l’applaudit. L’Académie en corps vient l’accueillir dans la première salle. Il assiste à la séance, assis à la place du directeur. À la sortie, la même foule immense l’attend et suit le carrosse. On monte sur la voiture, on veut le voir, le toucher. À la Comédie-Française, l’enthousiasme redouble. Le public est venu pour l’auteur, non pour la pièce. La représentation d’Irène est constamment interrompue par des cris. À la fin, on lui apporte une couronne de laurier dans sa loge et son buste est placé sur un piédestal au milieu de la scène. À la sortie, il est retenu longtemps à la porte par la foule qui réclame des flambeaux pour mieux le voir. On s’exclame : « Vive le défenseur des Calas ! ».

 

Voltaire peut mesurer ce soir-là l’indéniable portée de son action, même si la cour, le clergé et l’opinion antiphilosophique lui restent hostiles et se déchaînent contre lui et ses amis philosophes, ennemis de la religion, des « bonnes » mœurs et de la monarchie.

 

Un autre jour mémorable pour le vieil homme : Voltaire reçu Franc-Maçon :

Fondée en 1776, placée sous le patronage des Muses (les Neuf sœurs du Parnasse), la Loge des Neuf Sœurs se voulait vouée à la culture des sciences, des lettres et des arts ; elle a été un fer de lance des Lumières et des Encyclopédistes ; c'est elle qui, le 7 avril 1778 a procédé à l'initiation de Voltaire, 54 jours avant sa mort. Pour l'aider à se déplacer durant la cérémonie, c'est Benjamin Franklin, scientifique, écrivain, homme politique, futur ministre plénipotentiaire, futur président des États-Unis, son « Frère » et ami qui l'accompagne. Comme l'écrivait Nicolas Bricaire de la Dixmerie, orateur de la Loge (garant du respect du règlement Maçonnique) : « les plus grands compositeurs, les virtuoses les plus célèbres se sont empressés de se ranger sous la bannière des Neuf Sœurs... qui peut être considérée comme une espèce de colonie des arts, où l'Homme qui les cultive est admis, de quelque nation qu'il puisse être, où l'on voit accourir de tous les pays de l'Europe des hommes que leurs talents, leurs lumières, leurs productions rendent chers à notre patrie ».

 

La Lumière s'éteint. Mais jusqu'au bout, ne vacillera pas !

Voltaire âgé de 83 ans passés et atteint d’un mal qui progresse insidieusement pour entrer dans sa phase terminale aura, depuis son retour à Paris, vécu là ces quelques semaines qui lui restaient à vivre, à la fois comme celles de l’apothéose, mais aussi, celles du martyre. Mais il se sent si bien à Paris qu'il pense sérieusement y rester. Madame Denis en est ravie et part à la recherche d'une maison.

 

Sentant sa fin imminente, et voulant se prémunir d'un refus de sépulture, dès le 2 mars, il fait venir un prêtre à qui il remet une confession de foi minimale en échange de son absolution. A ce sujet, il écrit à son secrétaire ces deux lignes restées célèbres : « Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis et ...», ajoute-t-il, fidèle à lui-même : « et en détestant la superstition. »

 

La conversion de Voltaire, au sommet de sa gloire, aurait constitué une grande victoire de l’Église sur la « secte philosophique ». Le curé de Saint-Sulpice et l’archevêque de Paris, désavouant l’abbé qui avait reçu sa confession de foi minimale font savoir que le mourant doit signer une rétractation franche s’il veut obtenir une inhumation en terre chrétienne. Mais Voltaire refuse de se renier. Des tractations commencent entre la famille et les autorités soucieuses d’éviter un scandale.

 

Un arrangement est trouvé. Dès la mort de Voltaire on le transportera « comme malade » à Ferney ; et l'on décrétera qu'il est mort pendant le voyage, et ainsi son corps pourra être conduit à destination ! Voltaire meurt le 30 mai dans l'hôtel de son ami le marquis de Villette « dans de grandes douleurs, excepté les quatre derniers jours, où il a fini comme une chandelle », écrit Mme Denis, sa compagne qui, jusqu'au bout lui sera restée fidèle.

 

Le l’abbé Mignot, neveu de Voltaire, ne veut pas courir le risque d’un transport à Ferney. Il a l’idée de l’enterrer provisoirement dans la petite abbaye de Scellières, près de Troyes dont il est abbé. Le 31 mai, le corps de Voltaire embaumé, habillé, est installé assis aux côtés d'un serviteur, et arrive dans un carrosse à Scellières le lendemain après-midi. Grâce à sa confession de foi (minimale !) il est inhumé religieusement dans un caveau de l’église avant que l’évêque de Troyes, averti par l’archevêque de Paris, n’ait eu le temps d’ordonner au prieur de Scellières de surseoir à l’enterrement. Décidément, même à titre posthume, ce Voltaire aura, jusqu'au bout, réussi à tenir tête au clergé !

 

Le Panthéon

Voltaire repose depuis onze ans dans l'abbaye de Scellières lorsque éclate la Révolution, et que l'Assemblée Constituante vote la nationalisation des biens du clergé ; l'abbaye de Scellières va donc être mise en vente. Pour le respect de la sépulture du grand homme il faut rapidement trouver une solution.

Le marquis de Villette, celui-là même chez qui avait hébergé Voltaire les quelques semaines précédant sa mort de ce dernier, celui-là même qui, de sa propre autorité avait débaptisé le « quai des Théatins » où se trouvait sa demeure pour le renommer « quai Voltaire », le marquis de Villette, fait campagne pour que soit rapatrié la dépouille du philosophe, mais aussi pour lui trouver une dernière sépulture digne de lui ; il propose un nom -qui sera accepté, et conservé : le Panthéon- et en choisit même le lieu : se sera la basilique Sainte-Geneviève.

 

Le 4 avril 1791, deux jours après la mort de Mirabeau, l’Assemblée décrète que « le nouvel édifice de Sainte-Geneviève sera destiné à recevoir les cendres des grands hommes ». Mirabeau est le premier a être « panthéonisé ». Voltaire le suit le 11 juillet. Mais suite à la découverte de l'armoire de fer dans les appartements du roi, armoire secrète contenant des lettres prouvant la duplicité de Mirabeau, le corps de de ce dernier est retiré. Voltaire devient ainsi l'hôte le plus ancien du Panthéon.

 

Un autre grand nom viendra le 27 mai 2014 rejoindre son auguste aîné : Jean Zay, grand résistant, grand serviteur de l'État ; comme Voltaire, il a eu un tort qui, à juste titre lui sera reproché plus tard : avoir écrit dans sa jeunesse certaines lignes qui ont heurté nombre de consciences.. Peut-être aurait-il dû tourner sept fois sa plume dans l'encrier avant de coucher ces lignes sur le papier... ! Mais comme aurait dit Rudyard Kipling... ceci est une autre histoire. Et nous aurons l'occasion d'y revenir …

 

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