La Laïcité, pilier de la République,
pilier du « vivre ensemble »
( Partie 2 sur 5 )
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Entre 1660 et 1685 le royaume entreprend une politique de conversion des protestants au catholicisme, pouvant aller jusqu’à la persécution (dragonnades). Après l’avoir vidé de son contenu, Louis XIV révoque l’édit de Nantes en signant l’édit de Fontainebleau en 1685. Cette révocation de l’Édit de Nantes est un dramatique retour en arrière par rapport à l’avancée que ce dernier constituait, ce que nous allons voir maintenant.
2) L’avènement du protestantisme :
Les besoins de l’Église se font de plus en plus grands, et des sommes très importantes sont requises tant pour la construction de St Pierre de Rome, que pour ériger de nouvelles églises ou subvenir aux dépenses d'un clergé en surnombre. Le pape Léon X en 1516 a alors l'idée de la rémission partielle des péchés contre une aide substantielle aux œuvres de l’Église. Les Dominicains seront chargés d'une grande campagne en Allemagne qui va drainer des sommes colossales mais aussi, causer l'écœurement d'une bonne partie des fidèles. Certains se révolteront spontanément, et on verra des collecteurs pendus par des paysans. D'autant que de véritables escrocs en profitent pour extorquer des fonds.
C'est en s'attaquant d'abord aux Indulgences que Luther va réussir à convaincre autour de lui. Comment expliquer en effet qu'il suffise à un chrétien de payer dix ducats pour être exonéré du péché de polygamie ? Est-il suffisant d'avoir de l'argent pour se disculper d'un meurtre ? Les indulgences concernent aussi les pêchers à venir ! Il s'agit donc ni plus ni moins d'une sorte d'assurance sur l'enfer, si quelques ducats peuvent garantir une vie éternelle au Paradis. Le Pardon des péchés serait-il une affaire de classe sociale ? Le questionnement que cette pratique entraîne touche tout le clergé.
Mais surtout, et en rapport avec notre sujet de ce soir, ce n’est pas l’historique de l’avènement du protestantisme en soi qui doit retenir notre attention ; mais bien davantage le fait que Luther ait prôné le rapport direct que tout individu doit avoir avec Dieu sans l’intermédiaire du prêtre et le primat de la conscience ; on voit ici, comme je l’avais évoqué, un tournant dans l’évolution de l’anticléricalisme : de l’aspect purement « opposition » au pape, la notion fait place à un aspect nouveau : la conscience.
En outre, Martin Luther est également connu pour avoir, par souci de porter la connaissance au plus grand nombre, effectué une traduction de la Bible en allemand et dont l'impact culturel sera primordial. A noter qu’en France, et jusqu’à l’Édit de Villers-Cotterêts, c’est le latin qui est la langue officielle, langue qui n’est connue que des élites, penchant plutôt du côté des puissants, et inconnue de l’immensité de la masse populaire !!!
Le luthéranisme se répandra à une vitesse prodigieuse en Allemagne, en Suède, au Danemark, mais aussi en Suisse, en France même, pourtant considérée comme la fille aînée de l’Église depuis Clovis ; ce qui en dit long sur l'état d'exaspération de ces populations vis-à-vis de ses outrances et excès. Le luthéranisme se répandra, certes, à une vitesse prodigieuse en France, mais aussi malheureusement, entraînera une longue période de guerres de religion qui vont ravager le royaume de France au XVIème siècle, faire des milliers de morts et provoquer l’émigration de plus 200.000 huguenots. Il faudra attendre le 1598 pour qu’Henri IV signe l’Édit de Nantes qui est un édit de tolérance par lequel le roi de France reconnaît la liberté de culte aux protestants. Henri IV est lui-même un ancien protestant converti au catholicisme afin de pouvoir monter sur le trône à la mort de son cousin Henri III. (Paris vaut bien une messe).
L’Édit de Nantes, qui clôt en France la période troublée de guerre de religions, n’est pas le premier texte de ce type en France. Suite aux troubles constatés depuis quatre décennies, le roi Charles IX avait signé plusieurs édits : l’Édit d’Amboise ainsi que la paix de Saint Germain, mais ce qui fait la différence entre ces textes et l’édit de Nantes, c’est la mise en application réelle de ce dernier grâce à l’autorité d’Henri IV.
Que dit cet édit de fondamental qui concerne directement le thème de notre réunion de ce soir ? : il garantit la liberté de conscience religieuse partout dans le royaume, accordant aux protestants la liberté de culte dans les lieux où ils étaient installés avant 1597 Ainsi, l’apostasie n’est plus un crime, ni même le fait de ne choisir aucune religion ! Selon Pierre Joxe, ancien ministre, et féru d’histoire, l’édit de Nantes marque un tournant capital dans l’histoire des mentalités et dans la construction du fait laïque : sa signature opère une distinction entre le sujet politique, qui doit obéir à la loi du roi dans la sphère publique, et le croyant, libre de ses choix religieux, dorénavant cantonnés à la sphère privée, ce qui est une caractéristique supplémentaire à la Laïcité dont nous voyons là les contours se préciser. (voir le texte sur ce site)
3) les déistes de toutes sensibilités : le Siècle des Lumières :
Bien que le terme lui-même soit plus récent, l’idée philosophique et politique de Laïcité apparaît en Europe au XVIIIème appelé « Siècle des Lumières ». Avec la Philosophie des Lumières on va voir s’opérer une stratégie à double objectif : politique et philosophique, alors que jusqu’à présent, les combats menés étaient essentiellement pour asseoir une primauté, soit des rois sur l’église, soit de l’église pour apparaître à tout le moins sur un plan d’égalité avec la royauté.
1) Objectif philosophique : initier l’idée d’égalité, faire germer les droits de l’homme, développer la tolérance pour parvenir à la liberté de conscience, lutter contre l’obscurantisme ; émettre le vœu d’opérer une distinction entre l’Église catholique et l’État.
2) Objectif politique : il s’agit à l’époque, dans une Europe historiquement monarchique en vertu du droit divin, de contrecarrer le pouvoir du souverain en questionnant notamment celui du clergé. L’ébranlement de l’une des bases de la légitimité monarchique rend alors possible l’instauration de régimes aristocratiques –et non plus monarchiques- ou démocratiques.
Quelques figures emblématiques de la philosophie des Lumières :
Voltaire, qui, à l’occasion du procès de Jean Calas écrit son « Traité sur la Tolérance » ; il y soutient la thèse que l’ordre politique peut se passer des contraintes religieuses ; (*) Montesquieu, qui, dans « De l’esprit des Lois » » expose le fameux principe de l’équilibre des pouvoirs, « législatif – judiciaire – exécutif » qui prévaut encore de nos jours, sous le vocable abusif de « séparation des pouvoirs » ; Jean-Jacques Rousseau, qui, dans « Du Contrat Social » expose l’idée de la souveraineté populaire et la notion d’intérêt général, au bénéfice duquel chacun doit consentir à l’abandon d'une part de ses « droits naturels » — cette confrontation entre l'égalité citoyenne et la liberté individuelle « exprime la tension entre le citoyen et la personne, entre l'espace public et l'espace privé » ; Denis Diderot qui, dans « La Religieuse » condamne les préjugés et les dogmes pour leur opposer une capacité éthique intrinsèque à l’homme ; Condorcet, qui, dans « Réflexions sur l’esclavage des Nègres », s’oppose à l’esclavage au nom de droits naturels de l’humanité. Il défendra parallèlement l’émancipation des juifs et des femmes, développant ainsi le principe universel des droits humains. Condorcet a eu également une influence considérable sur le devenir de l'instruction publique dont il aura été le théoricien visionnaire par excellence.
On le voit, l’apport des philosophes du Siècle des Lumières est capital et ouvre le champ de notre sujet de ce jour vers de nouveaux horizons : tolérance, concept de séparation des pouvoirs, droits naturels de l’individu, notion d’intérêt général, égalité homme/femme, séparation des pouvoirs, espace public – espace privé, etc …
Un fait divers, comme on dirait aujourd’hui, illustre bien le jusqu’au-boutisme et le fanatisme de l’église et va réveiller les consciences, deux décennies avant la Révolution :
En 1766, le Chevalier de La Barre est condamné à subir la torture ordinaire et extraordinaire, à avoir le poing et la langue coupés, à être décapité et brûlé avec l’exemplaire du Dictionnaire Philosophique de Voltaire trouvé à son domicile. Son crime (supposé) est d’avoir chanté des chansons libertines irrespectueuses à l’égard de la religion, d’être passé devant une procession sans ôter son couvre-chef et de ne s’être pas agenouillé au passage de celle-ci. Voltaire et Victor Hugo, entre autres, feront du chevalier de La Barre un héros légendaire de la laïcité.
Sentant gronder de toutes parts la colère populaire et sentant la nécessité de réforme, Malesherbes, juriste, botaniste, conseiller du roi, esprit éclairé et protecteur de Diderot et ami de Turgot publie en 1785, à l'instigation de Louis XVI son « Mémoire sur le mariage des protestants », puis fait adopter en 1787 l'Édit de Tolérance qui organise l’état Civil des non-catholiques, initiant ainsi un début de reconnaissance de la pluralité des confessions. Mais il est trop tard, et la Révolution gronde aux portes de Versailles …
Que va apporter la Révolution française ?
Disons-le d’emblée, contrairement à une idée souvent répandue, bien qu’incitant à la déchristianisation, la Révolution reste étrangère à la notion de laïcité ; mieux ! elle souhaite conserver l'idée d'appuyer l'unité du pays sur une religion nationale. C'est en ce sens qu'il faut comprendre les tentatives de cultes révolutionnaires : Robespierre impose le culte de la Raison et de l’Être suprême, et proclame l’immortalité de l’âme par ces mots : « L’idée de l’Être suprême et de l’immortalité de l’âme est un rappel continuel à la justice ; elle est donc sociale et républicaine. ».
Cependant, lors de la formation de l’Assemblée Constituante, point de départ de la Révolution Française, le clergé est allié au Tiers état et vote avec lui la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. Celle-ci dispose dans son article X que : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
L’existence même de cet article est fondamental en cela qu’il fait cohabiter deux notions diamétralement opposées mais qui dans ce contexte s’interpénètrent et se donnent mutuellement sens : liberté de conscience –c’est-à-dire l’intime, le privé- et l’ordre public –ce qui relève de la « chose » publique, la RES PUBLICA, la République.
Le 2 novembre de la même année, Talleyrand, évêque d’Autun, propose d’utiliser les biens du clergé pour éponger les dettes de la nation. Cette décision entraîne le divorce entre la Révolution et l’Église catholique. La Constitution civile du clergé qui est proclamée (et la confiscation des biens du clergé qui s’ensuit : le patrimoine religieux passe sous la propriété de l'État) indique certes, une réelle volonté de mettre l'Église sous tutelle de l'État mais en fait, elle a pour but d'organiser une religion « nationale » dans une France qui s'ouvre à la liberté religieuse.
L’Assemblée constituante tient à rappeler l'importance de la religion dans la vie de la Cité, mais elle veut organiser l'Église nationale pour en faire essentiellement une source de morale publique, et non plus le fondement de la politique. Ainsi remodelée, elle voit son gallicanisme s'accentuer, et est bouleversée dans son organisation temporelle : les diocèses sont remaniés selon le découpage départemental, les évêques sont élus, les curés également. La hiérarchie est calquée sur le fonctionnement politique et l'autorité temporelle du pape est très nettement affaiblie.
Cette démarche est liée à la désacralisation du pouvoir royal, qui n'est plus considéré comme étant « de droit divin ». Face aux critiques de la Constitution civile du clergé par de nombreux évêques, et malgré le soutien d'une partie du clergé, l'Assemblée demande à tous les membres du clergé catholique de prêter un serment de fidélité à cette constitution à partir du 4 janvier 1791. Progressivement, les réfractaires sont réprimés, au nom du « respect de l'ordre public établi par la loi ».
Le pape Pie VI condamne les principes de la Révolution française en mars 1791 Il s'oppose nettement à la constitution civile du clergé et à la révocation unilatérale du Concordat de Bologne par l'Assemblée constituante. Les droits de l’homme font également l’objet d’une critique en règle, étant « contraires à la religion et à la société ».
Dès 1792, le clergé réfractaire est traité en suspect et soumis à une surveillance particulière, voire emprisonné en cas de désobéissance. Puis, avec la Terreur, l’Eglise constitutionnelle fait elle aussi l’objet d’une sévère répression. La Constitution de 1791, si elle garantit la liberté de culte, continue encore de financer les prêtres catholiques et eux seuls.
En guise de conclusion provisoire…
Le protestantisme, et surtout les raisons qui l’ont engendré sont un tournant fondamental dans la naissance du fait Laïque ; celui-ci adviendra d’autant plus que le « clan » catholique se radicalisant, engendra une réaction amplifiée de l’idée de l’Homme que les Humanistes de la Renaissance avaient formalisée, reprise et approfondie par la philosophie des Lumières. Si, contrairement aux idées reçues, la Révolution en ce domaine fut plutôt « timide », un grand homme, Nicolas de Condorcet, véritable visionnaire jettera les véritables bases de la Laïcité qui seront reprises près d’un siècle plus tard.
(fin de la deuxième partie)
Statue du Chevalier de la Barre, square Nadar, à Montmartre,
inaugurée le 24 février 2001, financée par une souscription
de l'association « Le Chevalier de la Barre »