Il nous a fait l'amitié de venir au banquet républicain qu'organisait "République-Avenir", le 10 décembre 2016. Infatigable défenseur de l'Ecole Républicaine et donc, de la Laïcité, il nous avait fait part de sa longue expérience d'enseignant et de Secrétaire général du Syndicat National des Instituteurs et des Professeurs de Collèges. Auteur de plusieurs ouvrages qui font autorité en ce domaine, dont le dernier -La Guerre Scolaire- paru en 2016 aux éditions Max Milo qu'il a co-écrit avec Alain Azouvi, Monsieur Guy Georges nous a autorisé à publier l'article ci-dessous.

 

Son parcours -il est normalien de la promotion 1945, celle-là même qui fut la première à rouvrir, les Ecoles Normales ayant été supprimées par le régime de Vichy- ses écrits, son expérience en font un acteur mais aussi un témoin précieux au sein de l'institution qui est l'une, sinon " la " plus emblématique des institutions républicaines : l'Education Nationale. (voir sur ce site : Banquet républicain : La guerre scolaire : la Laïcité en péril).

 

Les membres de l'association  " République-Avenir " lui adressent leurs plus vifs remerciements. 

Quelques réflexions sur le programme de M. Blanquer,

ministre de l'éducation nationale.

 

(Référence :

interview parue dans « L'Ob »

n°2755 du 24 août 2017)

 

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Ne nous attardons pas sur les généralités habituelles dans cet exercice. M. Blanquer veut « tirer tout le monde vers le haut » ; heureusement ! De même, il veut travailler pour « une école de la confiance » ; les causes sont connues : dénigrements, contradictions entre les paroles et les actes depuis des décennies ; va-t-il vanter les mérites de l'école laïque dont il a la responsabilité et lui donner les moyens de redonner confiance ? L'analyse de l'essentiel oblige à en douter...

 

Néanmoins, prenons acte avec satisfaction des intentions du ministre à propos de la formation des enseignants ; de même, avec quelques réserves dans son application cependant, la décision de fixer à 12 élèves l'effectif de classes de CP... en zone prioritaire. (voir plus loin)

 

Et venons-en à l'essentiel, qui est tout simplement la reprise des projets des partis et milieux conservateurs depuis 1947. Reprise cette fois sans détours dans le propos, ni hésitation dans la mise en æuvre.

 

De l'ensemble se dégagent deux lignes de force qu'il convient de décrypter. La première est la condamnation du « discours égalitariste » (c'est le titre de l'interview) ; on comprend dans le développement qu'il s'agit d'effacer ce qui fut mis en æuvre dans le quinquennat précédent. La seconde, affirmée sans détours est le calque pour les établissements publics du modèle que serait le fonctionnement des établissements privés. En clair, l'ébauche d'une privatisation du service public de l'enseignement !

 

I) Égalité et égalitarisme. Démocratisation ou élitisme ?

Il convient de revenir à la source. En 1947 était publié le plan Langevin-Wallon qui concrétisait les orientations du programme du Conseil National de la Résistance : en clair, le projet de démocratisation espéré par Jean Zay. Le principe en était l'égalité des élèves dans tous les aspects de la scolarisation obligatoire. Pour résumer selon les termes du Plan, « il ne s'agit plus de classer les élèves suivant les classes sociales auxquelles ils devront appartenir, mais de leur offrir à tous, suivant leur âge, les possibilités de développer les aptitudes qui peuvent être en eux. » (1)

 

Ce devait être le rôle de ce qu'est le collège actuel de combiner un enseignement commun et des options particulières permettant de déceler les aptitudes de chacun. Transformation radicale de l'enseignement à ce niveau, et tollé dans les milieux conservateurs et également corporatistes comme la Société des agrégés ou les syndicats du « second degré ». Pour discréditer le projet, on inventa un néologisme ; l'égalitarisme ! Il serait amusant de rappeler que la seule tentation de mettre en æuvre cette aberration qui suppose que les rythmes et niveaux d'acquisition de tous les enfants seraient identiques fut l'æuvre du « collège unique » de M. Haby. Tentation qui se voulait probablement une démonstration par l'absurde que la seule voie raisonnable serait la sélection à partir de 11 ans !

 

Revoilà donc l'accusation d'égalitarisme. L'illustration qu'en donne M. Blanquer éclaire bien l'opposition entre les deux démarches, sélective et égalitaire. Contrairement à l'accusation qui lui fut faite, Mme Vallaud Belcacem ne supprimait pas l'enseignement du latin ou l'apprentissage de deux langues ; elle donnait accès à ces savoirs à tous les élèves de 6ème et non à quelques classes présélectionnées, les options se précisant au fil de la scolarité. Le premier acte de M. Blanquer est de rétablir ces « classes à options » Citons-le : « rien n'interdira d'avoir plusieurs colorations de parcours dans un même collège. Quatre sixième avec quatre colorations différentes : langues, musique, sport, nature par exemple ». Mais encore langues anciennes, maths, classes bilingues ? Il s'agit bien de sélectionner , d'orienter les élèves dès la 6ème.

 

Quelques réflexions sur le CP de 12 élèves . C'est certainement bénéfique pour tout enfant en difficulté. Mais la mesure ne s'applique qu'aux zones d'action prioritaire ; certes ils y sont nombreux mais ils ne sont pas tous là. Au temps des débats passionnés sur l'alternative « démocratisation/sélection », les travaux du professeur Diatkine avaient mis en évidence que dans toute classe d'âge 20% des élèves avaient des facultés d'acquisition telles qu'ils n'auraient pas besoin de l'institution scolaire ; qu'à l'opposé, 20% avaient de telles difficultés qu'ils nécessitaient des attentions particulières et que 60% attendaient tout d'une bonne organisation scolaire. Il serait étonnant que ces rapports aient changé.

La politique que veut mettre en æuvre M. Blanquer vise à privilégier les deux extrémités de la courbe qui souvent correspondent à des milieux sociaux bien déterminés. Ainsi donc, est presque créée une filière qui du CP à 12 élèves doit conduire aux « collèges d'excellence » réhabilités. Me revient à l'esprit ce jugement d'Alain : «Tout l'effort des Pouvoirs publics devrait s'employer à éclairer les masses par le dessous et par le dedans, au lieu de faire briller quelques pics superbes, quelques rois nés du peuple, et qui donnent un air de justice à l'inégalité ». C'était en 1937; on y est encore !

 

II) Organiser l'école publique sur le « modèle » des établissements privés.

Cela n'est pas dit aussi crûment mais c'est bien ainsi que M. Blanquer voit les choses. Il ne conteste pas que le portrait qu'il dresse d'un système scolaire idéal est « assez proche du fonctionnement des écoles privées sous contrat ». Au moins c'est clair.

 

Laissons de côté l'alibi selon lequel il faudrait plus d'autonomie aux établissements publics. Ils ont acquis l'autonomie pédagogique et s'organisent par « projets » édifiés, si je ne me trompe, par les conseils d'établissements aux niveaux des écoles et des collèges.

 

Alors ? A l'évidence, M. Blanquer reprend un objectif déjà ancien des partis conservateurs, dont le recrutement des personnels est le sésame. Il faut ici aussi situer succinctement cette relance dans le temps et son contexte (2) :

 

a) M. Olivier Giscard d'Estaing (avril 1971), rapporteur du projet de loi « Pompidou » devant l'Assemblée Nationale souhaite le développement d'établissements privés non confessionnels ; il préconise une « politique unique d'éducation regroupant enseignement public et enseignements privés dans la voie d'une reconnaissance du pluralisme nécessaire des initiatives et des inspirations aussi bien pédagogiques que spirituelles ».

 

b) novembre 1977 : préparée depuis janvier par une violente campagne de calomnies contre l'école laïque, la loi Guermeur est adoptée. Dans le droit fil des préconisations de M. O. Giscard d'Estaing, on passe de l'aide financière à des établissements privés aux conditions de la loi Debré à la reconnaissance et l'organisation d'un système scolaire privé presqu'exclusivement catholique ! Simultanément, les 11 et 12 novembre, le R.P.R. organise des journées consacrées à l'école publique, malade, selon ce parti, d'un « cancer qui a nom politisation » !!!. Le rapport final retient entre autre ceci : « La cellule fondamentale du système est l'établissement. Il est donc indispensable que ses structures et ses missions soient fixées avec précision. Il est urgent d'étudier les conditions du choix et de la formation des directeurs de ces établissements ».

 

c) décembre 1981 : les « Cahiers d'information » du Club de l'Horloge (3) préconisent « par le recours à un contrat d'association rénové et étendu à tous (de) restaurer une pluralité d'établissements publics et privés, (et d') encourager la libre création d'écoles par toute personne physique ou morale ». Ainsi apparaît le mouvement « créer son école », parrainé, entre autres... par le futur ministre Darcos !

 

d) en 1984, dans son « projet pour la France », le R.P.R. définit « l'école publique libérale » par 5 « libertés » dont : la « libération des programmes », « l'extension au secteur public des principes en usage dans l'école libre », « l'affectation personnalisée des maîtres ». Ce programme est repris à chaque période électorale !

 

A n'en pas douter, M. Blanquer se situe clairement dans le lignage de ces «pionniers». Jusqu'ici, il semble que les ministres successifs, membres de ces partis ou mouvements, aient hésité à mettre clairement en æuvre cette orientation visant à détruire le service public obligatoire gratuit et laïque de l'enseignement. A lire le ministre, sa volonté d'agir ne fait pas de doute !

 

Des questions qui se posent

et devraient se poser à un Ministre

de l'éducation nationale.

 

Jusqu'à maintenant, les établissements scolaires publics sont gérés sous la responsabilité de l'Etat (rappel de la Constitution) avec des règles précises, garantes de leur neutralité concernant notamment les programmes et la nomination des enseignants. M. Blanquer veut apparemment changer ces règles pour obtenir « des équipes unies partageant un projet éducatif fort » dont la conséquence logique est que « le chef d'établissement ait un rôle à jouer en matière de recrutement ».

 

M. Blanquer balaie toute interrogation en prenant comme exemple les établissements français de l'étranger. Mauvais exemple ! Ces établissements sont gérés par le Ministère des Affaires étrangères et échappent au contrôle du Ministère de l'éducation nationale ; comme les lycées agricoles, gérés par le Ministère de l'agriculture. Ce que le Ministère de l'éducation nationale a toujours admis à contre-cæur va-t-il être encouragé par M. Blanquer ? Un ministère de l'identité nationale ressuscité, par exemple, serait-il autorisé, voire encouragé, à créer ses propres établissements partageant un « projet éducatif fort « ?

 

Revenons aux établissements publics actuels, écoles et collèges. pour qui M. Blanquer prévoit ces « projets éducatifs forts », pilotés par des chefs d'établissement logiquement recrutés dans ce but et chargés de former leur équipe pour les mettre en æuvre. Qui, quelle instance, va élaborer ces projets éducatifs forts dès lors que les conditions de l'autonomie actuelle des établissements ne le permettraient pas ? Et sur quels critères ces instances recruteront-elles les chefs d'établissement ? Nous avons l'exemple de la gestion des établissements privés, un « modèle » pour M. Blanquer. Ces établissements sont propriétés de mouvements religieux (Église catholique surtout, UOIF, CRIF...), politiques, comme « créer son école », professionnels comme les écoles de commerce.

 

Le « statut de l'enseignement catholique » (4) explique magnifiquement comment le projet éducatif de ses établissements -leur caractère propre- est verrouillé, le recrutement des chefs d'établissements assuré, comment l'ensemble est surveillé par l'autorité de tutelle. Appliquons-le à telle école communale dont la commune (Fréjus...au hasard !) est « propriétaire », ou au collège public géré par le département (la Vendée, toujours par hasard). L'un ou l'autre décident de leur projet éducatif ? Ou en confient-ils le soin à des groupements de parents ou associatifs appropriés. Ce sont ces instances qui vont recruter un « chef d'établissement » ? On en devine les critères. Qui peut les en empêcher, si l'on suit M. Blanquer ?

 

C'est bien un dépeçage du service public qui est rendu possible « en osmose » avec le Président de la République, nous avertit M. Blanquer !!!

 

L'organisation de l'enseignement public,

gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État,

rappelle la Constitution. Le cas échéant,

des mouvements laïques seraient bien avisés

de saisir le Conseil Constitutionnel.

 

Guy Georges

1er septembre 2017

 

  1. L'essentiel a été publié dans « I majuscule comme Instituteur » de G. Georges. Editions Bruno Leprince 2011

  2. Pour plus d'infos, se reporter à « La bataille de la laïcité 1944/2004 » G. Georges. Editions SUDEL 2008

  3. Très droitier club de pensée. Le lecteur trouvera très aisément sur internet de nombreux articles très éclairants sur ce mouvement renommé "Carrefour de l'horloge" en 2016 (ndlr)

  4. « La guerre scolaire » G. Georges & A.Azouvi. Editions Max Milo 2016